Pour être
précis, nous utilisons ici le terme de "psychologie cognitiviste",
car la psychologie cognitive, c'est-à-dire qui concerne la connaissance,
n'est pas nécessairement inspirée du cognitivisme. La psychologie cognitiviste,
est une reformulation de la psychologie de la connaissance dans le cadre du
cognitivisme. Elle a eu lieu à partir des années 1950 aux USA et vers
1980 en Europe.
Elle
s'oppose et succède à la précédente formulation comportementaliste
(béhavioriste) longtemps dominante. La psychologie cognitiviste "se fonde
contre le béhaviorisme" car elle s'autorise, "pour comprendre les
comportements, à tenter de les expliquer par des causes invisibles,
mentales". (Le Ny J-F, Comment l'esprit produit du sens, p. 48).
Plus généralement, la psychologie cognitiviste a « pour objet de reconstituer
et de décrire les différents processus internes, de nature psychologique, que
l’on suppose à l’origine des conduites » (Launay M., Psychologie cognitive,
2004, p. 18). Cette psychologie s'intègre dans les sciences cognitives qui ont
une conception computationnelle et représentationnelle de la cognition humaine.
Elle ne
représente pas toute la psychologie de la connaissance, car il y a une école
très importante issue des travaux de Jean Piaget, qui prend la forme d'un
structuralisme constructiviste, conciliant structure et genèse.
PLAN
DE L'ARTICLE
1/ Le référent de la psychologie cognitiviste
Pour situer
la psychologie cognitiviste, nous décrirons d'abord son référent (par référent,
nous entendons ce à quoi une connaissance s'intéresse dans le monde et de
quelle manière elle le fait). Cela permettra en même temps de la situer par
rapport à la psychologie behavioriste et à la psychanalyse.
Le cadre de
la définition suppose que les déterminations internes aux individus provoque
des conduites observables de ceux-ci. Il s'ensuit qu'à partir des conduites
observées, il est possible de construire un modèle des déterminations internes.
L'individu n'est pas considéré isolément, mais au sein d'un environnement dont
il reçoit des informations. On a un schéma cadre à trois termes :
Environnement
- individu - conduites.
En définissant ces trois termes, leurs rapports et les méthodes utilisées pour les étudier, on peut situer précisément la psychologie behavioriste, la psychologie cognitive et la psychanalyse.
La première, la psychologie behavioriste se limite à l'environnement et aux conduites qui sont finalement réduits à des stimuli et à des réponses comportementales. Les déterminations internes à l'individu sont mises hors jeu (boîte noire). Le mode d'étude est exclusivement expérimental.
En opposition, la psychologie cognitiviste et la psychanalyse tiennent compte massivement des déterminations internes à l'individu. Elles se séparent nettement du béhaviorisme quant à leur référent et à la méthode utilisée pour y accéder.
La psychologie cognitiviste simplifie l'environnement et les conduites de façon à délimiter les aspects cognitifs et à pouvoir appliquer la méthode expérimentale. Elle utilise aussi parfois la méthode clinique et les tests. Elle porte son attention sur la connaissance et le traitement de l'information, qu'ils soient de type représentationnel ou pas. Elle donne de la détermination interne à l'individu, dans ce domaine cognitif, des théorisations et modélisations diverses.
La psychanalyse s'adresse à un environnement et des conduites très complexes, en particulier de type relationnel, tels qu'ils se sont échelonnés dans l'histoire individuelle, et qu'elle étudie de façon clinique. Elle s'oriente vers les aspects concernant l'affectivité, la personnalité, les motivations. Elle en donne un modèle synthétique dit "psychique».
Contrairement à une opinion répandue, il n'y a pas d'opposition de fond entre psychologie cognitiviste et psychanalyse. Le schéma cadre est le même, mais l'une étudie l'univers cognitif et l'autre l'univers affectif et l'une est expérimentale alors que l'autre clinique.
En conclusion de ce paragraphe nous dirons que la
psychologie cognitive tente de rendre compte, par des théories et des modèles,
du fonctionnement interne aux individus dans le domaine
cognitif/informationnel, en le ramenant à des processus pouvant être
expérimentés.
2/ La diversification des recherches
La psychologie cognitiviste, qui a pour but de reconstituer
les processus internes que l'on suppose à l'origine des conduites cognitives
observables, est diversifiée pour diverses raisons. D'une part son domaine
d'étude est vaste. Elle s’intéresse à la perception, à l'attention, aux apprentissages,
à la catégorisation, au langage, au raisonnement, à la mémoire, aux décisions
et résolutions de problèmes. D'autre part, elle a des méthodes différentes
selon qu'elle s'inspire de la modélisation informatique, ou de la
neurobiologie, ou encore si elle autonomise les traitements cognitifs,
cherchant à montrer ce qui leur est spécifique.
La conception unifiée de l'activité cognitive, qui
caractérise la psychologie cognitiviste, implique en même temps de distinguer
des niveaux de complexité et donc des types d'études différents. Le degré le
plus simple concerne les signaux neurobiologiques, le degré suivant leur
intégration en éléments cognitifs dont certains sont représentationnels,
et enfin le degré le plus complexe concerne le jeu de ces éléments cognitifs
entre eux et enfin leur utilisation dans des stratégies de connaissance
abstraite.
Par conséquent, la psychologie cognitiviste a des objets de
recherche assez diversifiés. Donnons des exemples. L'objet d'étude peut être la
perception prise dans sa forme la plus élémentaire. Ce peut être la
signification, étudiée dans le cadre d'un échange verbal, et modélisée sous
forme de "représentations" et de "réseau sémantique". Ce
peut être les raisonnements logiques mais aussi les raisonnements spontanés
sous- tendus par une interprétation de la situation et une connaissance du
monde. L'objet d'étude atteint alors une grande complexité.
Les recherches en cours de par le monde se réclamant de la
psychologie cognitiviste sont très nombreuses et très intenses. Il serait vain
de vouloir en faire une liste. Nous nous limiterons à l'un des courants, celui
qui reconnaît l'intérêt de la représentation. Notons qu'il y en a un autre, au
moins égal en importance, qui s'y oppose. Nous le laisserons de côté.
3/ La représentation
En reprenant les propos de Tiberghien (1999) on pourrait
dire qu'il y a deux aspects fondateurs de la psychologie cognitiviste, le
premier qui est "l'émergence d'un nouvel objet scientifique, la
représentation mentale" ; le second la reprises des données de
l'informatique et de la neurobiologie.
Le tournant théorique qui a mené à la psychologie
cognitiviste a été permis par la reprise d'une notion ancienne, la
"représentation" qui vient des psychologies associationnistes du
XVIIIe et XIXe siècles. Les représentations sont supposées être le
support des compétences. Ce sont des entités (de diverses tailles et de
diverses natures), douées de propriétés (sémantiques, syntaxiques et autres),
qui font l'objet de traitement ou processus cognitifs. Les représentations ne
sont pas observables, ce sont leurs effets qui font l'objet d'une étude
empirique. À ce titre aussi la psychologie cognitiviste est anti-béhavioriste,
car ce courant proscrivait toute référence aux représentations dans
l'explication psychologique du comportement (car elles sont inobservables
directement).
Citons à nouveau Tiberghien
(1999) sur ce sujet : "Mais c’est de l’intérieur même que le behaviorisme
a littéralement implosé. C’est tout d'abord Tolman (1925, 1948) qui a été
contraint, l'un des premiers, de postuler des états représentationnels
("cartes mentales") et même intentionnels (réponses vicariantes) pour
expliquer les apprentissages latents et l'orientation spatiale chez l’animal.
Les hypothèses tolmaniennes ont ainsi engendré un néo-behaviorisme qui s’est de
plus en plus émancipé de la règle béhavioriste: Hull est amené à postuler des
réponses implicites anticipatrices de but entre les stimulus et les réponses
(1952) ; les théories médiationnelles réintroduisent une certaine forme d’état
représentationnel ou émotionnel, observable "en principe" ou
"potentiellement", entre les états objectivement observés de
l'environnement et le comportement (Osgood, 1960 ; Spence, 1956)".
Pour l'actualité (2010) l'enseignement de P. Jacob (DR CNRS, Institut Jean Nicod, CNRS-ENS/EHESS) porte sur les représentations mentales et celui de R. Casati (DR CNRS, Institut Jean Nicod, CNRS-ENS/EHESS) sur les représentations publiques. Citons leur argument :
"Le tournant cognitif en psychologie s'appuie sur l'introduction d'une entité théorique, la représentation mentale. Les ingrédients fondamentaux de la compétence seraient des représentations, c'est-à-dire des entités douées de propriétés sémantiques et syntaxiques, qui feraient l'objet de computations. Il s'agit bel et bien d'une notion théorique: les représentations ne sont pas des observables, et leur propriétés font l'objet d'une recherche empirique. Des contraintes conceptuelles sur la notion ont été discutées dans la philosophie de l'esprit et des sciences cognitives. La révolution cognitive des années 1950 a été une contre-révolution dirigée contre la "révolution" behavioriste qui proscrivait toute référence aux représentations mentales dans l'explication psychologique du comportement parce que les représentations mentales sont des entités théoriques inobservables. La naissance des sciences cognitives a coïncidé avec l'émergence de la conception computationnelle et représentationnelle de la cognition humaine. Ce paradigme a en particulier présidé à la naissance et aux développements de l'étude scientifique de la faculté de langage, grâce à la linguistique générative. La linguistique générative a elle-même exercé une influence durable sur l'étude du développement cognitif du bébé humain. Avec le développement des neurosciences cognitives de la vision et de l'action, nombre de chercheurs soutiennent que la conception computationnelle et représentationnelle de la cognition est dépassée et qu'il convient de la remplacer par des conceptions alternatives, comme l'"embodied cognition" et la conception de l'"extended mind". En s'appuyant sur l'examen de données empiriques issues de la psychologie du développement et des neurosciences cognitives, nous examinerons la validité de ces thèses méta scientifiques".
Toutefois nous ne sommes pas d'accord avec le lien fait avec le computationnisme car, dans cette doctrine, les représentations sont réduites à des aspects signifiants (des symboles de types logico-matématique) et la cognition se résume au traitement de l'information au sens du codage des signaux ( qu'ils soient neurobiologiques ou informatiques).
4/ Mental, conscient et inconscient
Généralement on qualifie de "mental" les
fonctionnements cognitifs perçus par le sens interne. Ils ont un aspect factuel
puisqu'ils sont perçus intérieurement et transmis extérieurement. Mais parfois,
on désigne par mental des processus non observables. Les définitions du mental
sont floues et contradictoires. Nous préférons par conséquent éviter la
définition de la psychologie cognitiviste par les processus mentaux et/ou les
réalités mentales (par exemple Le Ny ou Richard) car les processus cognitifs ne
sont pas tous conscients et symbolisés. Les processus cognitifs ne font pas
nécessairement l'objet d'une mentalisation.
La psychologie cognitiviste ne s’adresse pas spécialement
aux faits conscients et admet que les structures et fonctions cognitives soient
inconscientes. Ses modèles sont inférés à partir des faits, mais ne
correspondent pas nécessairement à quelque chose de mentalisé par l'individu
concerné. Par exemple Stich (1978) parle de processus ou d’états « infra-doxatique
». La recherche vise dans ce cas à révéler la "structure infra-doxatique
de la cognition". Nous préférons, pour éviter le terme de
"mental" qui est ambigu, parler tout simplement de processus
cognitifs.
La psychologie cognitive cognitiviste considère les
processus cognitifs comme des systèmes de traitement de l'information composés
de modules spécialisés et agencés dans une architecture contrôlée par un
système de supervision. C'est un modèle fondé sur des principes d'organisation
séquentielle ou parallèle et de rétroaction issu de l'informatique.
5/ La question de l'esprit
La psychologie cognitiviste étend
ses ambitions du côté de la pensée en général, voire de l'esprit s'interrogeant
sur "les mécanismes fondamentaux de l'esprit" (Launay, p. 17). Cela
tient à certaines filiations avec la philosophie de l'esprit. Comme pour le
mental il y a un flou certain dans la définition de l'esprit. Nous
préférons donc aussi éviter ce terme qui peut être remplacé par celui de
processus cognitifs.
Ce qui est intéressant et novateur, c'est la recherche d'une continuité dans "la manière dont la pensée émerge de l'activité cérébrale" et "d'une conception unitaire de l'activité psychologique, organisée en niveaux de traitement hiérarchisés, qui part de l'analyse des signaux (les stimuli) pour s'achever avec l'élaboration de connaissances stables présentées de manière symbolique" (Launay M., Psychologie cognitive, p. 18).
Cependant la continuité ne peut être établie en gommant les différences par une formule valise contradictoire comme celle de "l'esprit cerveau". Un processus, une représentation, ne peuvent être dans l'esprit et dans le cerveau (Le Ny, Comment l'esprit produit du sens, p. 15), car il n'y pas d'identité entre les deux (sauf dans la perspective réductionniste consistant à ramener le premier au second, ce qui n'est pas conforme aux principes de la psychologie cognitive).
Il y a dans la psychologie cognitiviste l'embryon d'un vrai
renouveau, l'amorce d'un paradigme original concernant l'homme. Nous
souscrivons à ce renouveau, tout en notant que le pas décisif n'a pas encore
été franchi. Nous en voulons pour preuve l'emploi indifférent des termes de mental,
esprit, pensée, cognition, esprit-cerveau... Il règne encore un flou conceptuel
qui doit être précisé pour qu'une vraie rupture se produise. Selon nous,
celle-ci viendra de la séparation entre ce qui est représentationnel et ce qui
ne l'est pas.
Bibliographie
- Tiberghien G., "La psychologie cognitive survivra-t-elle aux sciences cognitives ?" in Psychologie Française, 44 (3), 1999.
- Tiberghien G., "La psychologie cognitive survivra-t-elle aux sciences cognitives ?" in Psychologie Française, 44 (3), 1999.
- Le Ny J-F., Comment l'esprit
produit du sens, Paris, Odile Jacob, 2005.
- Launay M., Psychologie
cognitive, Paris, Hachette, 2004.
- Richard J-F., Les activités
mentales, Paris, Armand Colin, 2004.
philosciences.com
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