SCIENCES DE L'HOMME: La méthode structurale de Claude Lévi-Strauss

Lévi-Strauss est connu pour être l’une des figures de proue du structuralisme, mais cet auteur a une position épistémologique originale qui ne correspond pas à celle du structuralisme en général.

    PLAN DE L'ARTICLE
        1/ La genèse de la méthode
        2/ Vers une anthropologie générale
            Du côté des faits
            La théorisation
            Les inflexions dans la recherche
        3/ Les critiques
            Le manque de scientificité
            Un défaut central
        4/ Conclusion

1/ La genèse de la méthode

L’auteur écrit en 1955 : « L’ensemble des coutumes d’un peuple est toujours marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n’existent pas en nombre illimité, et que les sociétés humaines, comme les individus dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu’il serait possible de reconstituer » (Tristes tropiques, p. 183). La méthode vise à reconstituer cette combinatoire.

Cette méthode structurale, qui concerne l’homme, est aussi une manière de voir le monde en général. Repérant un ordre dans la réalité, (des régularités, des discontinuités, des symétries), l’idée vient d’en chercher l’intelligibilité d’en déduire l’organisation, la structure. Les conduites humaines surtout collectives, les productions culturelles, les formes d’organisation sociale, les manifestations culturelles, derrière leur diversité et leur chatoiement esthétique, manifestent un ordre dont il convient de rendre compte. Pour Lévi-Strauss, cet ordre n’est pas auto engendrée, il est la marque de l’esprit humain.

Bien entendu cette intuition complexe n’est pas apparue brusquement prête à l’emploi dans la pensée de Lévi-Strauss. Elle a une genèse. Lévi-Strauss, quoique peu prolixe sur ce sujet, explicite parfois certaines étapes de son cheminement intellectuel. Citons par ordre chronologique ses rencontres avec la géologie, la psychanalyse, la botanique, l’ethnographie, la linguistique.

Au cours de ses promenades d’adolescent dans les Cévennes, il note que des effets de surface dans le paysage correspondent à une architectonique cachée. Par exemple tel végétal côtoyant tel autre, très différent, signe un changement de sol sur une ligne de faille. Une architecture profonde et invisible règle les manifestations visibles et, si on la connaît, les rend intelligibles. Au-delà de la description du paysage, une explication est possible.

La psychanalyse qu’il découvre par l’intermédiaire d’un ami psychiatre (le Dr Marcel Nathan) alors qu’il est en classe de philosophie lui évoque la même chose. Même ce qui se présente sous des apparences irrationnelles, peut dissimuler une rationalité secrète. Des aspects visibles apparemment incompréhensibles ou absurdes sont symptomatiques d’un fonctionnement caché qui est, lui, compréhensible.

Quelques fleurs des champs et en particulier une fleur de pissenlit, contemplée en 1938 sur la ligne Maginot, donnent l’idée qu’il doit y avoir des lois d’organisation qui président à leur agencement compliqué ; ceci en lien avec un sentiment venu à la lecture d’un ouvrage de Marcel Granet sur la parenté chinoise, sentiment mixte : une organisation est bien mise en évidence par l’auteur mais elle est trop compliquée et confuse. Derrière le complexe Lévi-Strauss a l’intuition qu’une architecture de base plus simple doit exister. Selon Lucien Scubla (Séminaire du CREA, mars 2007), Lévi-Strauss devrait plus à Granet qu’à la linguistique que nous allons aborder maintenant.

Le moment de synthèse se produit lors de la rencontre avec Roman Jakobson. Lévi-Strauss en parle dans la préface à « L’introduction aux six leçons sur le son et le sens » du linguiste russe. Les conversations avec lui eurent un effet qui permit de « cristalliser en un corps d’idée cohérente » les intuitions nées en 1938. Derrière la diversité infinie des manifestations verbales il y a une structure simple, en tout cas du point de vue phonologique, qui les détermine.

Citons Philippe Descola qui résume ce moment de la manière suivante : Lévi- Strauss « découvre dans la phonologie un modèle exemplaire pour mettre en œuvre son intuition. Ce modèle présente quatre caractéristiques remarquables : il abandonne le niveau des phénomènes conscients pour privilégier l’étude de leur infrastructure inconsciente ; il se donne pour objet d’analyse non pas des termes, mais les relations qui les unissent ; il s’attache à montrer que ces relations forment système ; enfin, il vise à découvrir des lois générales ».

« Dès cette époque, Lévi-Strauss fait l’hypothèse que ces quatre démarches combinées peuvent contribuer à éclaircir les problèmes de parenté en raison de l’analogie formelle qu’il décèle entre les phonèmes et les termes servant à désigner les parents. Les uns comme les autres sont des éléments dont la signification provient de ce qu’ils sont combinés en systèmes, eux-mêmes produits du fonctionnement inconscient de l’esprit, et dont la récurrence en maints endroits du monde suggère qu’ils répondent à des lois universelles. » (La lettre du Collège de France, hors série, 2008, p.3).

On trouve réaffirmés ces principes pour les domaines d’étude successifs dont Lévi-Strauss s’est occupé, que ce soit la parenté, le totémisme, les religions, la pensée sauvage, les mythes. Derrière le chaos monstrueux de coutumes contradictoires, il est possible d’atteindre des principes simples et peu nombreux, qui les explique.

Au total Lévi-Strauss, suppose qu’un ordre simple est repérable dans la diversité et la complexité des manifestations sociales et culturelles humaines. C’est une intuition méthodique et une vision générale du monde qui n’est pas démontrable a priori. C’est l’intuition fondatrice du référent. Elle préexiste, puis préside à la recherche. C’est sa fécondité et son opérabilité qui en démontreront la valeur après coup.

2/ Vers une anthropologie générale
Du côté des faits
Le champ factuel concerné

Le champ empirique concerné par la recherche de Lévi-Strauss est très vaste. Il concerne les activités sociales et culturelles, telles que les croyances et coutumes, les règles de parenté, les mythes, les modes de pensée, mais aussi accessoirement les manifestations architecturales, picturales, la musique. Les régularités trouvées sont schématisées et théorisées sous formes d’ensembles composés d’éléments articulés entre eux.

Ses premiers travaux ont porté sur la parenté, dont il va décrire les multiples formes ainsi que les coutumes correspondantes (les interdits et les prescriptions), avec en arrière-plan la fonction sociale effective, quelle que soit la forme prise : mettre en place l’échange et l’exogamie entre les communautés. À partir des années 60, il se lance dans l’étude des mythes des Indiens d’Amérique. Cela donnera « Les mythologiques » suite d’ouvrages dans lesquelles plus de 800 mythes d’Amérique du sud et du nord sont décrits et analysés. Avec « La pensée sauvage » l’auteur décrit la manière de penser des cultures non scientifiques qui utilisent principalement une logique du sensible. Lévi-Strauss montre comment sont utilisées, comme guide pour la pensée, les formes toutes prêtes, données par l’environnent naturel.

La manière dont les faits sont mis en évidence constitue la pragmatique d’une science. Ce sont les aspects pratiques et techniques de la méthode qui permettent de construire les faits. Pour un même champ visé par la recherche, selon la pragmatique mise en œuvre, les faits ne seront pas identiques. Du point de vue de la pragmatique Lévi-Strauss propose une immersion de l’agent de la recherche dans les faits, afin d’en avoir une compréhension profonde et intégrée. Il s’agit bien de compréhension car il faut saisir le sens. À partir de là, le chercheur travaille pour aboutir à une description qui donnera le matériau de la recherche.

Que les structures soient méconnues des utilisateurs, apporte une sorte d’objectivité car elles ne sont pas troublées par la subjectivité individuelle. Du point de vue pragmatique cela a une conséquence. Les inflexions subjectives données par les utilisateurs ou les informateurs, de même que les variations circonstancielles, sont sans importance. Dans certains cas, les protagonistes sont aveugles à ce qu’ils font. La réciprocité et l’échange, par exemple, peuvent être vécus sur un mode agonistique (se voler les biens, les femmes) ou les cérémonies de mariage peuvent être vues en termes romanesques niant l’aspect d’échange contractuel et de prestance sociale (dans notre société). Les interprétations secondaires, qui constituent un obstacle à l’observation ethnologique, sont dépassées car le fait est indépendant du vécu.

Conséquence pratique, il convient de travailler sur un ensemble de versions. La manière de les traiter passe au travers des diversités et saisit ce qui est commun. En recueillant un corpus accueillant toutes les variantes on comprend les transformations qui ont lieu. La conséquence pragmatique est que non seulement aucune version n’est mauvaise ou meilleure, mais elles sont toutes utiles pour juger des variations. Et c’est justement cela qui permet d’accéder au noyau commun qui est intéressant.

Puis, vient une phase de transition dans laquelle le chercheur transforme le matériau brut en lui faisant subir un premier degré d’abstraction. C’est ce que nous appelons le procédé de schématisation, qui n’est pas propre à Lévi-Strauss, mais qu’il utilise. Le matériau brut est transformé en un certain nombre d’éléments thématiques pertinents.

La constitution des matériaux

Trouver les unités pertinentes n’est pas immédiat. Un élément veut dire quelque chose par différence, par démarcation des autres. Lévi-Strauss applique le principe structuraliste selon lequel les différences (formelles et de contenu) génèrent les significations et non l’élément lui-même. Par exemple, le cru n’a pas de signification directe, c’est l’ensemble d’opposition cru/cuit, cuit/brûlé, cru/cuisiné, etc., qui donne une signification au cru. Dans la parenté, ce sont les relations mari-femme, père-fils, frère-sœur, oncle maternel-fils de la sœur, etc., qui forment un système et sont à prendre en compte.

Il faut aussi identifier le pourquoi et le comment de telle opposition ou de telle homologie afin de s’assurer que son repérage n’est pas erroné ou arbitraire. Les éléments des mythes peuvent venir de circonstances particulières en rapport avec l’environnement naturel (particularités géographiques, zoologiques ou botaniques).

Dans les mythes, Lévi-Strauss opère ensuite une répartition des éléments sur des plans homogènes. Dans le mythe énoncé par les informateurs qui a ensuite été retranscrit, tout est mélangé, car l’énoncé du mythe est pris dans un processus narratif. Le déploiement est linéaire dans le temps, il écrase et confond les différentes strates (comme un morceau de musique polyphonique pendant le temps d’exécution).

Il s’ensuit qu’un mythe doit être redéployé comme dans une partition orchestrale pour distinguer les divers plans qui le constituent. Donnons comme exemple le mythe d’Asdival propre à un groupe indien de la côte Nord-ouest dont les divers mythèmes identifiables sont distribués sur quatre plans : géographique, technico-économique, sociologique, et cosmologique. Ces plans Lévi-Strauss les appelle les codes. Il s’agit de la nomenclature, du lexique, admis dans un domaine donné.

Puis, concernant les éléments, il faut mettre en évidence leur organisation qui se fait selon les oppositions logiques de type spatial (haut/bas), de parenté (aîné/cadet), cosmologique (ciel/souterrain).

Notons qu’une opposition logique haut/bas peut être exprimée dans le code géographique par sommet/vallée. Le mélange des codes peut donner un côté baroque voire fantastique au mythe lorsqu’un code d’un champ est utilisé pour donner une forme logique dans un autre. Par exemple cuit/brûlé dans la géographie donne un paysage brûlé qui ne l’est pas concrètent mais appelé ainsi car ennemi (mauvais mais non sauvage puisque occupé par le clan adverse).

Lévi-Strauss parle de « démonter les mythes comme des mécanismes d’horlogerie », ou « comme dans une réussite au jeu de carte, les arranger jusqu’à trouver un ordre » (Interview Guy Marchand, 1972). C’est un « travail artisanal », dont nous dirons qu’il met en jeu la propre capacité logique du chercheur. De plus, il s’agit d’une configuration épistémologie particulière et présentant un danger. Par la schématisation, la théorisation sous-jacente intervient vite, elle peut donc facilement pervertir le matériau de base. (voir après).

La théorisation
La procédure

La procédure de théorisation structurale concerne tous les phénomènes sociaux et culturels. Après qu’ils aient été décomposés en unités pertinentes, il faut chercher comment ces unités s’articulent entre elles et selon quel ordre. L’effort théorique se trouve là. Le processus d’abstraction commencé avec la pragmatique et qui a permis de trouver les éléments pertinents et de les distribuer selon divers plans appelés « codes », se continue par la construction de la structure.

Pour trouver cette organisation, cette structure, il faut jouer avec les unités simples en les disposant différemment jusqu'à trouver un ordre, celui qui est le plus économique possible. Là encore les différences servent à distinguer. Selon une formule de Lévi-Strauss, « ce sont les différences qui se ressemblent » ou qui s’opposent (la différenciation constitue l’élément du système, elle s’oppose ou ressemble à une autre différenciation). Par comparaison on trouve ainsi des formes identiques. Les configurations présentes dans les divers plans (les divers codes lexicaux) et dans les diverses versions, constituent des invariants, des schèmes constants. Ces relations invariantes sont la structure cherchée.

Ensuite, de cet ordre mis en évidence, il faut donner un modèle simple et intelligible, si possible formalisé. Les modèles sont forgés selon une pensée rationnelle utilisant divers procédés de mise en ordre. Cela peut se faire selon des formes géométriques triangle, rangée, colonne, agencement dans l’espace ou de type logico mathématique (structure de groupe). Lévi-Strauss utilise la logique élémentaire et l’algèbre moderne pour voir si elles sont applicables.

Enfin, il convient de déchiffrer le sens et trouver la fonction d’ensemble. Dans « La geste d’Asdival », ce mythe exprimerait la contradiction entre la forme de parenté de ce peuple et son organisation sociale.

Les résultats

Il résulte de cette recherche que la fonction symbolique peut être décrit selon des formes logiques qui sont des oppositions, des symétries, des inversions, des équivalences. A un niveau plus vaste on trouve des conjonctions et des disjonction avec des possibilités d’intersection, d’union, et de complémentation. Ce sont les opérations de la logique élémentaire et de la théorie des ensembles. Ces formes logiques élémentaires sont à l’œuvre dans toutes les activités humaines.

Dans le livre sur la parenté, on trouve une formalisation et un essai d’énoncé mathématique (fait par André Weil) concernant le système de parenté très complexe de la tribu Murngin (Nord de l’Australie). André Weil révèle dans ses notes : « non sans mal je finis par voir que tout se ramenait à étudier deux permutations et le groupe qu’elles engendraient ». De plus « les deux permutations sont échangeables, donc le groupe qu’elles engendrent est abélien » (Œuvres scientifiques , Collected Works, t I, Springer-Verlag, New-York, 1979, p. 567). On ne peut guère mettre en doute ce résultat, il y donc bien une logique à l’arrière-plan de la parenté d’apparence inextricable des Murngin.

À la fin d’un article consacré à Wladimir Propp, Claude Lévi-Strauss propose un tableau à double entrée, définissant et formalisant les différents types d’opérations supposées être à l’œuvre dans les mythes. (Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 164,165). Hage et Harary deux mathématiciens montrent que cette matrice n’est pas incohérente du point de vue mathématique. L’auteur y exprime un système d’opérations qui, schématisées, « se rapprocherait d’une algèbre de Boole », sans prétendre y être strictement conforme. Ces opérations portent sur du concret (des actes, des choses, des situations) et non sur des abstraits. Par exemple le mariage et son contraire le célibat, ou son inverse le divorce.

Il semblerait que les groupes booléens s’appliquent aux mythes et rendent comptent des oppositions cru, cuit, frit, bouilli, qui président aux coutumes alimentaires de nombreuses cultures et que Lévi-Strauss avait proposé de formaliser sans son « triangle culinaire » associant cru-cuit-pourri.

Dans La potière jalouse, une formule synthétique réapparaît la « formule canonique » des mythes déjà proposée auparavant mais peu explicitée. La formule canonique des mythes donne une formalisation non logique de certaines régularités. Si dans une séquence du mythe on trouve une action de type x appliquée à un personnage a et la même action appliquée à un personnage b ceci se complète régulièrement dans le mythe de l’action considérée appliquée à b et de l’action du l’inverse du personnage appliquée à un tiers terme y. La formule décrit une régularité, c’est-à-dire que cet agencement se reproduit dans la plupart des mythes. Même remarque que précédemment, il s’agit de situations concrètes et non d’une formule portant sur des abstraits. Par exemple la séquence double faire le bien appliqué au héros et faire le mal appliqué au traître, se complète de la séquence double faire le mal appliqué au héros et faire le bien appliqué au traître anéanti.

Sur ces différentes controverses que ces tentatives de formalisation ont engendrées, nous renvoyons à l’ouvrage de Lucien Scubla, Lire Lévi-Strauss (Paris, Odile Jacob, 1998). Notre interprétation de l’affaire est qu’il paraît préférable de ne pas considérer ce formalisme comme logico mathématique, mais comme utilisant le langage formel pour mettre en évidence des régularités de manière concise. Lucien Scubla parle de résumé sténographique (ibid., p. 121). Selon nous la question de la validité de la formalisation n’est pas pertinente du fait de la situation épistémologique particulière des sciences de l’homme. (voir après)

Les inflexions dans la recherche

On peut noter deux inflexions dans l’orientation des recherches de Lévi-Strauss d’abord la mise en avant du langage puis du sensible.

Dans les années 50, Lévi-Strauss espère trouver du côté du langage le fondement de la structuration symbolique spécifiquement humaine. La linguistique l’a influencé directement par son amitié avec le linguiste russe Roman Jakobson rencontré aux USA et par la lecture du Cours de linguistique général de Ferdinand de Saussure. De plus il y eu une domination de cette discipline à cette époque que l’on a qualifiée de « science pilote ».

Passé le moment d’influence inaugural, la référence à la linguistique restera, mais uniquement dans son aspect méthodique à savoir le principe de recherche des différences. Les éléments à considérer se définissent par leurs différences et ce sont ces rapports différentiels qui font qu’un système s’organise et fonctionne. Ce point central de la méthode ne sera jamais abandonné par Lévi-Strauss.

Le modèle donné par la linguistique repose sur la distinction entre les termes et les relations. Les langues peuvent paraître compliquées, mais l’on s’applique à considérer que les phonèmes sont régit par des différences et que celles-ci distinguent des significations, dans cette mesure on peut trouver une structure simple. Les petites variations n’ont pas d’importance et peuvent être négligées puisque ce sont les relations qui ont une importance.

Lucien Scubla écrit à juste tire que « pour l’heure (1958/59), c’est avec les concepts que les linguistes ont emprunté à la théorie de l’information … que Lévi-Strauss poursuit son travail et décrit les trois opérations successives que doit comprendre une étude structurale … : distinguer les codes, analyser la structure du message, en le sens » (Scubla L. Lire Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, 1998, p.48). Nous n’avons pas repris cette terminologie datée car son emploi est source de confusion puisque précisément dans la théorie de l’information-signal, elle a un sens différent.

Il y a manifestement, avec et sans jeu de mot, un « excès de langage » à ce moment chez Lévi-Strauss : par un emploi et une extension abusive des termes de la théorie de l’information et de la linguistique et par l’extension abusive vers une explication ultime et universelle. On est à l’époque du tout langage. On peut effectivement parler comme le fait Lucien Scubla de « carcan linguistique » (Lire Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 259).

Cet excès d’extension se retrouve chez Lacan et ses suiveurs qui tentent d’imposer l’idée que l’inconscient affectif et relationnel serait lui aussi gouverné par la structure langagière. (voir Juignet P., Histoire idées psychanalytiques, Grenoble, P.U.G., 2006). La formulation de ce genre d’idée existe chez Lévi-Strauss. En 1958, l’auteur suggère qu’une « nouvelle version de l’inconscient voit le jour, car cessant d’être l’ineffable refuge des particularités individuelles, le dépositaire d’une histoire unique, … il se réduit … à la fonction symbolique » (Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 224), commune à tous les hommes. La fonction structurante « impose des lois […] à des éléments inarticulés qui proviennent d'ailleurs : pulsions, émotions, représentations, souvenirs » (Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 232, 233).

À partir des années 1960, Lévi-Strauss met en avant ce que l’on pourrait appeler une logique du sensible. Logique du sensible veut dire que le filtre sensoriel (issu de notre biologie) et les formes vues dans l’environnement naturel donnent une configuration, une structure, qui ensuite peut jouer comme opérateur logique pour organiser la pensée. Ce développement est venu avec la livre sur La Pensée sauvage et il a déterminé le travail des Mythologiques.

Donnons un exemple des procédés d’une logique du sensible. Elle permet de faire des oppositions fines : compatibilité et incompatibilité, symétrie, contraste. Elle permet l’interposition au sein d’une gradation continue, ou encore les ramifications multiples comme celles d’une cristallisation. Elle offre une richesse à côté de laquelle la logique propositionnelle paraît pauvre, richesse qui permet de saisir la complexité du monde concret.

La pensée sauvage (classificatrice et/ou magique) et la pensée scientifique (rationnelle) sont mises en relation. L’une porte sur la perception, le sensible et l’imagination, l’autre sur l’abstrait (les qualités premières), mais elles ont un noyau fonctionnel commun. On peut faire le reproche que la recherche d’une logique commune conduit à minimiser les différences. C’est ce que fait remarquer avec humour Jean Piaget en indiquant que Lévi-Strauss néglige l’évolution de la pensée, pourtant évidente, de celle de l’enfant à celle de … Lévi-Strauss (Piaget J., Les structuralismes, Paris, PUF, 1968, p. 100).

3/ Les critiques

N’étant pas ethnologue, il ne nous est pas possible de juger de la pertinence interne des travaux de Lévi-Strauss. C’est en tant qu’épistémologue que nous porterons une appréciation prudente.

Le manque de scientificité

Lévi-Strauss fait lui-même remarquer concernant les sciences de l’homme que l’agent de la recherche participant à l’objet de sa science, l’objectivité est difficile. Le chercheur faisant partie du champ d’étude, il ne peut y être indifférent et l’impartialité est difficile. C’est un aspect de la pragmatique qui est évident pour Lévi-Strauss, et qu’il considère comme inévitable. Mais il ne donne pour remède que l’effort individuel et la vertu du dépaysement devant une culture étrangère. Il y a là une insuffisance notable.

La méthode suivie, nous l’avons vu plus haut, peut facilement être biaisée par torsion des faits du fait de la schématisation précoce. La pragmatique n’est pas totalement séparable de la théorisation, mais elle doit avoir une autonomie pour ne pas biaiser les matériaux. Si ce n’est pas le cas, on tombe en plein sous la critique d’irréfutabilité mis en avant par Karl Popper. La connaissance n’est pas scientifique car les faits sont choisis et tordus pour corroborer la théorie. Sur ce point aucun remède n’est proposé.

C’est hélas assez souvent le cas dans les sciences de l’homme. C’est ce que signale de manière caustique Lucien Scubla au sujet d’Algirdas Greimas qui a tenté de concilier les travaux de Propp et de Lévi-strauss. Le risque est de procéder «  comme un théologien, …qu’il soit ndembu ou dorzé , chrétien ou musulman, lacanien ou marxiste, , qui sait d’avance qu’il pourra toujours concilier les dogmes et le faits » (Lire Lévi-Strauss, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 264).

Le problème épistémologique le plus aigu, dans le cas des sciences de l’homme, c’est l’identité entre explanans et explanandum. Ici, en reprenant les termes de Lévi- Strauss, nous dirons que le chercheur est porteur de la fonction symbolique  dont il se sert pour étudier son objet, qui est la fonction symbolique. Lévi-Strauss le formule ainsi «  les sciences humaines travaillent sur des symboles de choses qui sont elles-mêmes des symboles » (L’Homme nu, p. 574). Le même s’énonçant peut-il produire une connaissance, ou seulement une simple redondance ? Y a-t-il la possibilité d’une différenciation suffisante pour produire une explication qui ne soit pas une reproduction ou un simple commentaire (qui ferait des sciences humaines un « théâtre d’ombre », n’offrant que des copies affaiblies).

Lévi-Strauss fait confiance à l’abstraction structurale et à la formalisation pour sortir de l’identité. Nous ajouterons pour notre part le commentaire suivant.  Certes, grâce à la formalisation, une distance est prise d’avec les faits, mais la théorie est produite par ce qui produit les faits étudiés. C’est obligatoire si l’hypothèse de départ est juste, celle d’une fonction symbolique commune à l’humanité (humanité dont le chercheur fait partie). De par cette identité, le rapport entre la théorie et son référent risque d’être une simple répétition (malgré la formalisation). Une réponse à ce problème se trouve dans le positionnement ontologique  que nous proposons (voir après, le paragraphe « Reprendre l’apport de Lévi-Strauss »).

Un aspect de ce problème est la « projection attributive » par laquelle la forme intellectuelle trouvée (ici la structure) est attribuée à la réalité (réalisme). Il est net que pour Lévi-Strauss la structure n’appartient pas à la réalité mais qu’elle est un modèle construit d’après celle-ci. Lévi-Strauss ne commet pas cette erreur attributive, averti qu’il est par le criticisme kantien. Sa position est hésitante. À la question de savoir si la structure est un simple modèle, ou s’il y a un réalisme possible de la structure, il répond  « nous n’en savons rien » et se retourne vers un opérationalisme : « L’analyse structurale est une analyse efficace » […] « c’est une commodité scientifique ». Elle ne correspond à ce qui existe que de manière approximative, elles « n’exprime pas le fond des choses, mais il s’en rapproche » (Interview de Jean José Marchand, 1972).

En même temps Lévi-Strauss désigne explicitement un référent ontologique ce qui nous paraît être une position épistémologique justifiée. Les structures « rendent comte de » l’esprit humain et du social qui est leur référent ontologique. Il est légitime de dire de quoi la structure est le modèle, si l’on ne veut pas s’en tenir à un pur opérationnalisme. Désigner le référent ontologique ne veut pas dire lui attribuer le modèle structural et tomber dans une naïve projection réaliste.

Concernant l’appréciation de la théorie, on se trouve devant une difficulté, c’est que Lévi-Strauss ne donne pas une formulation synthétique des résultats de sa recherche. Ceux-ci restent éparpillés dans l’ensemble de l’œuvre. L’absence d’un exposé synthétique donne un doute quant à ce que pourrait être exactement la logique inconsciente de l’esprit humain. De plus la communauté scientifique ne s’est pas encore prononcée. Devant une thèse aussi directe et importante pour l’anthropologie, d’une logique simple générative des cultures et coutumes humaines, il est étonnant qu’il n’y ait pas eu un assentiment enthousiaste de la communauté savante ou une réfutation drastique. Tout cela laisse une impression d’incertitude.

3- Un défaut central

Lucien Scubla dans un article de 1988. propose une analyse fine et pertinente d’un problème central. (« Fonction symbolique et fondement sacrificiel des sociétés humaines », La revue du MAUSS, n° 12, 1988, p. 41) Il nous excusera de le paraphraser presque mot à mot. Il note cinq points qui mis ensemble sont tautologiques. Il note que pour Lévi-Strauss :

- La culture est conçue comme réalité première, c'est-à-dire comme ensemble de systèmes symboliques autonomes, dont l'individu tire sa propre capacité à symboliser et, partant, toute sa substance proprement humaine.

-  Il enracine la fonction symbolique dans l'esprit humain, et va même jusqu'à faire de celui-ci l'objet principal de l'anthropologie. Il risque donc de retomber dans cette « réduction du social au psychologique », qu'il s'agissait pourtant d'éviter.

- D'où sa propension à désubjectiviser les opérations de l'esprit humain en s'efforçant d'ancrer le symbolique lui-même, et par suite la culture, dans une réalité supra individuelle qu'il nomme « l'inconscient ».

- L’inconscient se réduit à une fonction, la fonction symbolique, spécifiquement humaine et qui, chez tous les hommes, s'exerce selon les mêmes lois.

Cette analyse du dispositif de Lévi-Strauss nous paraît parfaitement exacte. Les critiques que Lucien Scubla en fait sont diverses. Pour notre part, nous ramènerons cet ensemble à un principe que nous appelons le « holisme structural ». Il se résume à : il y a probablement une structure centrale unique qui gouverne toutes les manifestations humaines.

Cette hypothèse d’arrière plan est présente dans toute l’œuvre de Lévi-Strauss. Au début de l’œuvre, il la cherche dans la parenté, le langage, puis les mythes. L’hypothèse s’étend encore puisqu’elle finit par englober les mathématiques et la musique (Lévi-Strauss C., L’homme nu, Paris, Plon, 1975, p. 578). Lévi-Strauss met sur le même plan structural, et selon deux axes entrecroisés, mathématique et langue, musique et mythe.

La recherche d’une structure commune à l’ensemble des productions humaines est une hypothèse enthousiasmante, car elle ouvre la possibilité d’une explication à la fois simple et complète. Elle implique aussi que les différents systèmes peuvent s’exprimer les uns dans les autres, si l’on pousse l’analyse assez loin. De cette manière, on pourrait accéder à un « code universel » (Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 30).

La structure symbolisante de base, serait le plus petit commun dénominateur de l’esprit, la forme élémentaire et commune à la pensée et aux divers langages. Nos propres travaux psychanalytiques confirment ceux de Lévi-Strauss concernant l’existence d’une régularité et d’un ordre sous-jacent à l’apparence contingente et fantaisiste des productions humaines. Mais nous nous inscrivons en faux contre le holisme et le rabattement logico linguistique qui s’est produit à un moment de la pensée de Lévi-Strauss.

L’hypothèse d’une structure identique, réglant de la même manière, la logique, le langage et l’inconscient est une chimère. Même au sein du langage, il a fallu admettre que la phonologie la syntaxe et la sémantique n’obéissaient pas aux mêmes règles. L’avenir de la recherche est plutôt de repartir en sens inverse pour trouver à quel niveau restreint on peut faire une l’hypothèse d’une fonction ordonnatrice centrale.

4/ Conclusion

Selon notre conception, l’objet d’une science voit le jour lorsque le référent premier s’est suffisamment élaboré grâce à l’avancée des recherches pour que se définisse un champ factuel cohérent, une méthode précise et une explication théorique rationnelle. Le tout renvoie à une hypothèse ontologique unificatrice (disant de quelle partie du monde on s’occupe). Une fois constitué, l’ensemble fait paradigme et différentes recherches peuvent être menées sur des champs spécifiques.

Pour constituer un objet, compte tenu du référent choisi, il faut trois conditions : avoir un corpus factuel bien documenté, donner une théorie de la structure et expliciter son rapport à la fonction symbolique qui la produit, donner un statut ontologique à cette fonction. Le travail de Lévi-Strauss répond bien à ces trois conditions. L’anthropologie structurale de Lévi-Strauss a un objet épistémique bien constitué et peut prétendre à la scientificité.

Par rapport au référent de sa recherche qui était, rappelons-le de montrer l’existence d’une fonction symbolique structurante à partir des faits socioculturels dans un vaste corpus ethnographique, le résultat obtenu montre que cette fonction engendre des mécanismes d’allure logique. Dit autrement, Lévi-Strauss conclut que le fonctionnement de la pensée mise en évidence par la logique moderne est universellement appliqué, y compris sous des aspects d’apparence non rationnelle. Quant aux structures générées, elles présentent des régularités remarquables et sont constamment retrouvées.

Ce n’est pas un moindre résultat du point de vue de la connaissance de l’humain. La pensée s'ordonnerait universellement de la même manière, y compris lorsqu’elle prend la forme d’un bricolage fondé sur le sensible. C’est bien là une assertion anthropologique. Il reste à voir les critiques internes. Un objet de recherche peut être bien constitué et acceptable scientifiquement, mais les résultats peuvent être erronés si des erreurs se sont glissées dans le déroulement de la recherche.

Le travail de Lévi-Strauss, appuyé sur une documentation gigantesque, présente un caractère de sérieux et de rigueur qui fait honneur aux sciences de l’homme. Il s’agit d’une œuvre considérable et d’une qualité remarquable dont nous n’avons abordé ici qu’un aspect.

Réf: Philosciences.com

Psychologie: La psychologie cognitiviste

Pour être précis, nous utilisons ici le terme de "psychologie cognitiviste", car la psychologie cognitive, c'est-à-dire  qui concerne la connaissance, n'est pas nécessairement inspirée du cognitivisme. La psychologie cognitiviste, est une reformulation de la psychologie de la connaissance dans le cadre du cognitivisme. Elle a eu lieu à partir des années 1950 aux USA et vers 1980 en Europe.
Elle s'oppose et succède à la précédente formulation comportementaliste (béhavioriste) longtemps dominante. La psychologie cognitiviste "se fonde contre le béhaviorisme" car elle s'autorise, "pour comprendre les comportements, à tenter de les expliquer par des causes invisibles, mentales". (Le Ny J-F, Comment l'esprit produit du sens, p. 48). Plus généralement, la psychologie cognitiviste a « pour objet de reconstituer et de décrire les différents processus internes, de nature psychologique, que l’on suppose à l’origine des conduites » (Launay M., Psychologie cognitive, 2004, p. 18). Cette psychologie s'intègre dans les sciences cognitives qui ont une conception computationnelle et représentationnelle de la cognition humaine.
Elle ne représente pas toute la psychologie de la connaissance, car il y a une école très importante issue des travaux de Jean Piaget, qui prend la forme d'un structuralisme constructiviste, conciliant structure et genèse.
PLAN DE L'ARTICLE

1/ Le référent de la psychologie cognitiviste

Pour situer la psychologie cognitiviste, nous décrirons d'abord son référent (par référent, nous entendons ce à quoi une connaissance s'intéresse dans le monde et de quelle manière elle le fait). Cela permettra en même temps de la situer par rapport à la psychologie behavioriste et à la psychanalyse.
Le cadre de la définition suppose que les déterminations internes aux individus provoque des conduites observables de ceux-ci. Il s'ensuit qu'à partir des conduites observées, il est possible de construire un modèle des déterminations internes. L'individu n'est pas considéré isolément, mais au sein d'un environnement dont il reçoit des informations. On a un schéma cadre à trois termes :
Environnement - individu - conduites.

En définissant ces trois termes, leurs rapports et les méthodes utilisées pour les étudier, on peut situer précisément la psychologie behavioriste, la psychologie cognitive et la psychanalyse.

La première, la psychologie behavioriste se limite à l'environnement et aux conduites qui sont finalement réduits à des stimuli et à des réponses comportementales. Les déterminations internes à l'individu sont mises hors jeu (boîte noire). Le mode d'étude est exclusivement expérimental.

En opposition, la psychologie cognitiviste et la psychanalyse tiennent compte massivement des déterminations internes à l'individu. Elles se séparent nettement du béhaviorisme quant à leur référent et à la méthode utilisée pour y accéder.

La psychologie cognitiviste simplifie l'environnement et les conduites de façon à délimiter les aspects cognitifs et à pouvoir appliquer la méthode expérimentale. Elle utilise aussi parfois la méthode clinique et les tests. Elle porte son attention sur la connaissance et le traitement de l'information, qu'ils soient de type représentationnel ou pas. Elle donne de la détermination interne à l'individu, dans ce domaine cognitif, des théorisations et modélisations diverses.

La psychanalyse s'adresse à un environnement et des conduites très complexes, en particulier de type relationnel, tels qu'ils se sont échelonnés dans l'histoire individuelle, et qu'elle étudie de façon clinique. Elle s'oriente vers les aspects concernant l'affectivité, la personnalité, les motivations. Elle en donne un modèle synthétique dit "psychique».

Contrairement à une opinion répandue, il n'y a pas d'opposition de fond entre psychologie cognitiviste et psychanalyse. Le schéma cadre est le même, mais l'une étudie l'univers cognitif et l'autre l'univers affectif et l'une est expérimentale alors que l'autre clinique.
En conclusion de ce paragraphe nous dirons que la psychologie cognitive tente de rendre compte, par des théories et des modèles, du fonctionnement interne aux individus dans le domaine cognitif/informationnel, en le ramenant à des processus pouvant être expérimentés.

2/ La diversification des recherches

La psychologie cognitiviste, qui a pour but de reconstituer les processus internes que l'on suppose à l'origine des conduites cognitives observables, est diversifiée pour diverses raisons. D'une part son domaine d'étude est vaste. Elle s’intéresse à la perception, à l'attention, aux apprentissages, à la catégorisation, au langage, au raisonnement, à la mémoire, aux décisions et résolutions de problèmes. D'autre part, elle a des méthodes différentes selon qu'elle s'inspire de la modélisation informatique, ou de la neurobiologie, ou encore si elle autonomise les traitements cognitifs, cherchant à montrer ce qui leur est spécifique.
La conception unifiée de l'activité cognitive, qui caractérise la psychologie cognitiviste, implique en même temps de distinguer des niveaux de complexité et donc des types d'études différents. Le degré le plus simple concerne les signaux neurobiologiques, le degré suivant leur intégration en éléments cognitifs dont certains sont  représentationnels, et enfin le degré le plus complexe concerne le jeu de ces éléments cognitifs entre eux et enfin leur utilisation dans des stratégies de connaissance abstraite.
Par conséquent, la psychologie cognitiviste a des objets de recherche assez diversifiés. Donnons des exemples. L'objet d'étude peut être la perception prise dans sa forme la plus élémentaire. Ce peut être la signification, étudiée dans le cadre d'un échange verbal, et modélisée sous forme de "représentations" et de "réseau sémantique". Ce peut être les raisonnements logiques mais aussi les raisonnements spontanés sous- tendus par une interprétation de la situation et une connaissance du monde. L'objet d'étude atteint alors une grande complexité.
Les recherches en cours de par le monde se réclamant de la psychologie cognitiviste sont très nombreuses et très intenses. Il serait vain de vouloir en faire une liste. Nous nous limiterons à l'un des courants, celui qui reconnaît l'intérêt de la représentation. Notons qu'il y en a un autre, au moins égal en importance, qui s'y oppose. Nous le laisserons de côté. 

3/ La représentation

En reprenant les propos de Tiberghien (1999) on pourrait dire qu'il y a deux aspects fondateurs de la psychologie cognitiviste, le premier qui est "l'émergence d'un nouvel objet scientifique, la représentation mentale" ; le second la reprises des données de l'informatique et de la neurobiologie.
Le tournant théorique qui a mené à la psychologie cognitiviste a été permis par la reprise d'une notion ancienne, la "représentation" qui vient des psychologies associationnistes du XVIIIe et XIXe siècles.  Les représentations sont supposées être le support des compétences. Ce sont des entités (de diverses tailles et de diverses natures), douées de propriétés (sémantiques, syntaxiques et autres), qui font l'objet de traitement ou processus cognitifs. Les représentations ne sont pas observables, ce sont leurs effets qui font l'objet d'une étude empirique. À ce titre aussi la psychologie cognitiviste est anti-béhavioriste, car ce courant proscrivait toute référence aux représentations dans l'explication psychologique du comportement (car elles sont inobservables directement).
Citons à nouveau Tiberghien (1999) sur ce sujet : "Mais c’est de l’intérieur même que le behaviorisme a littéralement implosé. C’est tout d'abord Tolman (1925, 1948) qui a été contraint, l'un des premiers, de postuler des états représentationnels ("cartes mentales") et même intentionnels (réponses vicariantes) pour expliquer les apprentissages latents et l'orientation spatiale chez l’animal. Les hypothèses tolmaniennes ont ainsi engendré un néo-behaviorisme qui s’est de plus en plus émancipé de la règle béhavioriste: Hull est amené à postuler des réponses implicites anticipatrices de but entre les stimulus et les réponses (1952) ; les théories médiationnelles réintroduisent une certaine forme d’état représentationnel ou émotionnel, observable "en principe" ou "potentiellement", entre les états objectivement observés de l'environnement et le comportement (Osgood, 1960 ; Spence, 1956)".

Pour l'actualité (2010) l'enseignement de P. Jacob (DR CNRS, Institut Jean Nicod, CNRS-ENS/EHESS) porte sur les représentations mentales et celui de R. Casati (DR CNRS, Institut Jean Nicod, CNRS-ENS/EHESS) sur les représentations publiques. Citons leur argument :

"Le tournant cognitif en psychologie s'appuie sur l'introduction d'une entité théorique, la représentation mentale. Les ingrédients fondamentaux de la compétence seraient des représentations, c'est-à-dire des entités douées de propriétés sémantiques et syntaxiques, qui feraient l'objet de computations. Il s'agit bel et bien d'une notion théorique: les représentations ne sont pas des observables, et leur propriétés font l'objet d'une recherche empirique. Des contraintes conceptuelles sur la notion ont été discutées dans la philosophie de l'esprit et des sciences cognitives. La révolution cognitive des années 1950 a été une contre-révolution dirigée contre la "révolution" behavioriste qui proscrivait toute référence aux représentations mentales dans l'explication psychologique du comportement parce que les représentations mentales sont des entités théoriques inobservables. La naissance des sciences cognitives a coïncidé avec l'émergence de la conception computationnelle et représentationnelle de la cognition humaine. Ce paradigme a en particulier présidé à la naissance et aux développements de l'étude scientifique de la faculté de langage, grâce à la linguistique générative. La linguistique générative a elle-même exercé une influence durable sur l'étude du développement cognitif du bébé humain. Avec le développement des neurosciences cognitives de la vision et de l'action, nombre de chercheurs soutiennent que la conception computationnelle et représentationnelle de la cognition est dépassée et qu'il convient de la remplacer par des conceptions alternatives, comme l'"embodied cognition" et la conception de l'"extended mind". En s'appuyant sur l'examen de données empiriques issues de la psychologie du développement et des neurosciences cognitives, nous examinerons la validité de ces thèses méta scientifiques".

Toutefois nous ne sommes pas d'accord avec le lien fait avec le computationnisme car, dans cette doctrine, les représentations sont réduites à des aspects signifiants (des symboles de types logico-matématique) et la cognition se résume au traitement de l'information au sens du codage des signaux ( qu'ils soient neurobiologiques ou informatiques).

4/ Mental, conscient et inconscient

Généralement on qualifie de "mental" les fonctionnements cognitifs perçus par le sens interne. Ils ont un aspect factuel puisqu'ils sont perçus intérieurement et transmis extérieurement. Mais parfois, on désigne par mental des processus non observables. Les définitions du mental sont floues et contradictoires. Nous préférons par conséquent éviter la définition de la psychologie cognitiviste par les processus mentaux et/ou les réalités mentales (par exemple Le Ny ou Richard) car les processus cognitifs ne sont pas tous conscients et symbolisés. Les processus cognitifs ne font pas nécessairement l'objet d'une mentalisation.
La psychologie cognitiviste ne s’adresse pas spécialement aux faits conscients et admet que les structures et fonctions cognitives soient inconscientes. Ses modèles sont inférés à partir des faits, mais ne correspondent pas nécessairement à quelque chose de mentalisé par l'individu concerné. Par exemple Stich (1978) parle de processus ou d’états « infra-doxatique ». La recherche vise dans ce cas à révéler la "structure infra-doxatique de la cognition". Nous préférons, pour éviter le terme de "mental" qui est ambigu, parler tout simplement de processus cognitifs.
La psychologie cognitive cognitiviste considère les processus cognitifs comme des systèmes de traitement de l'information composés de modules spécialisés et agencés dans une architecture contrôlée par un système de supervision. C'est un modèle fondé sur des principes d'organisation séquentielle ou parallèle et de rétroaction issu de l'informatique. 

5/ La question de l'esprit

La psychologie cognitiviste étend ses ambitions du côté de la pensée en général, voire de l'esprit s'interrogeant sur "les mécanismes fondamentaux de l'esprit" (Launay, p. 17). Cela tient à certaines filiations avec la philosophie de l'esprit. Comme pour le mental il y a un flou certain dans la définition de l'esprit.  Nous préférons donc aussi éviter ce terme qui peut être remplacé par celui de processus cognitifs. 
 
Ce qui est intéressant et novateur, c'est la recherche d'une continuité  dans "la manière dont la pensée émerge de l'activité cérébrale" et "d'une conception unitaire de l'activité psychologique, organisée en niveaux de traitement hiérarchisés, qui part de l'analyse des signaux (les stimuli) pour s'achever avec l'élaboration de connaissances stables présentées de manière symbolique" (Launay M., Psychologie cognitive, p. 18).

Cependant la continuité ne peut être établie en gommant les différences par une formule valise contradictoire comme celle de "l'esprit cerveau".  Un processus, une représentation, ne peuvent être dans l'esprit et dans le cerveau  (Le Ny, Comment l'esprit produit du sens, p. 15), car il n'y pas d'identité entre les deux (sauf dans la perspective réductionniste consistant à ramener le premier au second, ce qui n'est pas conforme aux principes de la psychologie cognitive).
Il y a dans la psychologie cognitiviste l'embryon d'un vrai renouveau, l'amorce d'un paradigme original concernant l'homme. Nous souscrivons à ce renouveau, tout en notant que le pas décisif n'a pas encore été franchi. Nous en voulons pour preuve l'emploi indifférent des termes de mental, esprit, pensée, cognition, esprit-cerveau... Il règne encore un flou conceptuel qui doit être précisé pour qu'une vraie rupture se produise. Selon nous, celle-ci viendra de la séparation entre ce qui est représentationnel et ce qui ne l'est pas.
Bibliographie
-
Tiberghien G., "La psychologie cognitive survivra-t-elle aux sciences cognitives ?" in Psychologie Française, 44 (3), 1999.
- Le Ny J-F., Comment l'esprit produit du sens, Paris, Odile Jacob, 2005.
- Launay M., Psychologie cognitive, Paris, Hachette, 2004.
- Richard J-F., Les activités mentales, Paris, Armand Colin, 2004.

philosciences.com

L'importance de la psychologie dans un processus de veille et d'influence

Les techniques d'influence basées sur des méthodes de psychologie sociale ont toutes quelque chose en commun : elles n'emploient aucune pression physique, morale ou économique pour induire le comportement attendu de la part de celui qui les utilise

Effectuer une veille de son environnement proche et lointain constitue la base de tout travail d'Intelligence Economique, travail qui intègre le fait de guetter les signaux faibles pour établir des corrélations avec des signaux dits "lourds" pour élaborer une réflexion et une stratégie d'influence. Nous effectuons la plupart du temps un travail centré sur l'observation et l'étude de ces signaux, en oubliant souvent de prendre en compte des facteurs complémentaires qui pourtant sont absolument primordiaux : les facteurs psychologiques et humains. En effet, beaucoup d'entreprises négligent souvent la dimension humaine dans leur politique stratégique et se contentent seulement de rechercher l'information de manière automatisée, sans prendre le temps de s'intéresser à l'ensemble des employés qui pourtant sont souvent détenteurs d'information pertinente et à forte valeur ajoutée.

Ainsi, réduire le processus complexe de veille (recherche, collecte, analyse, traitement et diffusion de l'information) à ce simple travail mécanique revient à mettre de côté une partie fondamentale de cette pratique. A n'utiliser que des outils et méthodes purement techniques pour capter notre information, nous finissons par nous aveugler et nous passons à coté d'éléments fondamentaux qui peuvent pourtant être indispensables voire décisifs dans notre processus stratégique. La veille ne se limite pas qu'à la seule recherche d'information dite "formelle" c'est-à-dire formalisée sur un support, qu'il soit numérique ou bien physique. Elle doit aussi pour être complète intégrer pleinement la recherche et l'exploitation de sources "informelles" (immatérielles). Une bonne recherche d'information passe par la prise en compte et la considération de l'autre en tant que source et membre d'un réseau d'importance capitale pour l'entreprise. En effet, 70 % de l'information dite "fermée" (c'est-à-dire non accessible à tous) passant par le réseau et la voie orale, il faut toujours prendre sérieusement en compte le facteur humain et ne jamais négliger les relations inter-individuelles.

La meilleure façon d'améliorer ce travail est de convaincre les individus de devenir eux-même des relais d'information, et ainsi participer au travail d'Intelligence collective de l'entreprise. La plupart des employés d'une entreprise ne perçoivent pas naturellement la nécessité d'un plan d'Intelligence Economique, ce concept étant très flou dans l'esprit des individus. Les responsables IE auront donc la lourde tâche de sensibiliser et former l'ensemble des employés, quelque que soit leur statut, à l'importance du renseignement dans l'entreprise et à naturellement diffuser toute information pouvant alimenter la mémoire, sans crainte de divulguer une information jugée beaucoup trop souvent inutile. Toute information étant potentiellement stratégique à partir du moment ou elle est bien exploitée, les employés pourront alors se transformer en acteurs naturels au sein de l'entreprise devenue alors un grand centre d'analyse et d'exploitation de l'information ouverte et fermée.

La psychologie peut réellement améliorer ce travail de sensibilisation et de préparation aux employés de l'entreprise. Ainsi, cette discipline regorge de techniques et de notions pouvant être utilisées à des fins communicationnelles que ce soit pour convaincre, persuader ou encore manipuler au sens positif du terme. Par exemple, un professionnel de l'Intelligence Economique pourra sensibiliser des employés en utilisant ce que l'on appelle en psychologie sociale la technique de la « crainte puis soulagement ». Ainsi, il pourra lui faire visionner une vidéo (les travaux de Barthes ou Debray notamment ont permis de démontrer que les images étaient beaucoup plus influentes psychologiquement que les textes) montrant l'entreprise déposer le bilan et licencier des salariés pour avoir essuyé plusieurs échecs dus à un manque d'anticipation généré par une carence en information stratégique. Cette vidéo se conclue par un message positif (qui a pour but de générer sur la cible le soulagement et la tendance future à l'action volontaire et naturelle). Ce message dit que si l'ensemble des employés devient un acteur du renseignement, alors l'entreprise sera beaucoup plus à même de faire face aux problématiques concurrentielles car elle sera en possession d'une véritable démarche de diffusion immédiate et spontanée d'information générée et véhiculée par l'ensemble des personnes travaillant au sein de celle-ci.

Mais attention : pour que la « manipulation » fonctionne réellement, il faut que l'individu se sente parfaitement libre de ses actes et choix. Sinon, l'engagement personnel sera nul et il est fort probable que la personne ne reproduise plus ce comportement par la suite. Nous pourrons mesurer les effets de notre technique par l'étude des points suivants :

-Radicalisation du comportement. La personne est devenue réellement convaincue de la nécessité de produire cette nouvelle action (à savoir ici le fait de délivrer et diffuser naturellement toute information au sein de l'entreprise).

-Résistance aux attaques. L'individu défend son nouveau comportement si une personne vient remettre en cause son bien-fondé.

-Tendance à l'action. La cible aura naturellement tendance à reproduire par la suite ce comportement sans l'intervention d'une force extérieure.

Si ces trois aspects sont réunis, alors nous pourrons dire que les individus au sein de notre entreprise auront été bien conditionné et notre action de sensibilisation au processus de veille et de réseau interne bien entamée. Cette technique est de plus un excellent moyen pour amener les individus à réaliser leur importance au sein de leur organisme et à prendre conscience que leur participation active au processus de collecte et de diffusion d'information peut sauver l'entreprise, ou du moins lui permettre d'être bien mieux armée pour affronter des concurrents internationaux qui ont depuis longtemps compris l'importance de la généralisation du travail de veille à l'ensemble du personnel de l'entreprise. C'est donc aussi un moyen d'améliorer la communication interne de l'entreprise qui est aussi déterminante dans le fonctionnement de celle-ci, car permettant de diminuer les tensions et d'augmenter la cohésion des individus au sein de l'organisation.

Le responsable Intelligence Economique doit donc connaître pour être efficace dans son action d'interrogation des réseaux les techniques psycho-socio-cognitives qui amènent à conditionner le comportement d'une personne afin de l'amener à divulguer d'elle-même l'information, sans jamais utiliser de contrainte ou de pression explicite mais simplement en l'engageant dans des actions non coûteuses en faveur de cette démarche ou par l'utilisation de techniques avérées. La veille est donc aussi une action psychologique et humaine. Elle doit pouvoir anticiper les réactions des individus pour les aborder sans générer de méfiance de la part de ceux-ci, et ainsi éviter une dégradation volontaire de l'information qui constitue un problème grave dans ce processus.

Dans le cadre du réseau interne, on parlera donc de techniques visant à améliorer la perception de la personne vis-à-vis d'elle-même et de l'entreprise, en lui faisant prendre conscience de la nécessité pour le bon fonctionnement de celle-ci de son implication entière dans le travail de veille et d'interrogation de sources. Le but sera ici de tout faire pour éliminer le désintérêt et la rétention d'information de la part des employés, ce qui constitue trop souvent un facteur d'altération du mécanisme de recueil d'information. Un bon travail de veille ne peut s'effectuer que dans une relation de confiance entre les individus.

Dans le cadre du réseau externe, il s'agira d'influencer le comportement d'individus qui à priori n'ont aucun intérêt à divulguer de l'information. Un important travail psychologique sera donc mis en place pour élaborer une stratégie visant à amener ces individus à fournir "librement" l'information recherchée (notamment au moyen de techniques d'engagement et de méthodes de pression inconscientes générées par la stimulation de certaines zones de leur cerveau via ces méthodes). "La veille est l'affaire de tous". Tous les employés sont de possibles détenteurs d'information capitale pour la stratégie présente ou future de l'entreprise. Savoir comment les aborder et leur demander une requête est donc aussi primordial que de savoir rechercher une information sur du support numérique ou physique. C'est pourquoi il faut intégrer dans toute démarche et politique d'Intelligence Economique une dimension psychologique visant à accroître l'efficience de ce travail.

Etudions maintenant l'élaboration d'une stratégie d'influence sur le WEB dans le but de diffuser une information stratégique et rendre un message le plus efficace possible, c'est-à-dire toucher et modifier le comportement du plus grand nombre de personnes et créer un effet de propagation ou "buzz" important. Il est important de souligner qu'influencer se distingue clairement du fait de convaincre, persuader ou encore manipuler. Influencer un individu signifie le fait de lui faire subir une pression externe, directe ou indirecte, consciente ou inconsciente afin de conditionner son comportement en l'amenant à adopter une attitude favorable par rapport à notre objectif. Le domaine de la psychologie et notamment la psychologie sociale (qui étudie les interactions entre les individus) déborde là aussi de conseils et de techniques approuvées scientifiquement pour influencer un individu. Ainsi, Solomon Asch par exemple a démontré qu'un individu subissant une pression d'un groupe organisé va subir une influence de cette majorité, et s'adapter à eux pour ne pas se sentir rejeté. A l'inverse, Serge Moscovici a démontré qu'une minorité peut aussi parvenir à influencer une majorité qui pourtant est bien établie et légitime au sein de la société pour peu qu'elle soit organisée, constante et déterminée. Voilà donc deux informations très judicieuses qui vont nous fournir les armes pour construire notre stratégie.
 
Appliquons donc dans notre travail les principes que nous avons vu, à savoir les phénomènes d'influence majoritaire et minoritaire.

Si nous voulons modifier le comportement et la perception d'un individu en particulier, nous pourrons opter pour la première technique et si nous cherchons à influencer une masse d'individus, nous opterons pour la technique de Moscovici. Bien entendu, ces deux techniques ne sont pas les seules et peuvent être complétées ou remplacées par de nombreuses autres, tout aussi judicieuses et adaptées.

Ce travail de "psychologisation stratégique" de l'influence a dans l'histoire été appliqué de très nombreuses fois et a généré des résultats étonnants d'efficacité. Pendant la guerre du Vietnam, l'armée vietnamienne avait ainsi trouvé une technique surprenante pour influencer l'opinion publique américaine. Lorsqu'un soldat ennemi était capturé, il était accueilli par une personne se présentant comme un médecin. Le premier jour, cette personne se contentait de lui soigner ses blessures et s'en allait aussitôt le travail terminé. Les jours suivants, il continuait à prendre soin du prisonnier et entamait la conversation, sans pour autant nouer de véritables liens avec son hôte. Petit à petit, le médecin s'immisçait dans la vie de la personne et créait une véritable relation d'"amitié" avec son patient, ce qui avait pour but de mettre la personne de plus en plus en confiance et de détruire ses barrières défensives bien présentes au début de son incarcération.
Les discussions devenant de plus en plus intimes et profondes, le médecin faisait prendre conscience au prisonnier que le gouvernement vietnamien n'était pas aussi cruel que celui des Etats-Unis, qui n'hésitait pas à massacrer des innocents pour atteindre ses objectifs. Mieux encore, il réussissait grâce à cette attitude affectueuse à faire naître chez la personne un dégoût pour son propre camp. Le prisonnier se voyait également offrir la possibilité d'envoyer du courrier à ses proches. Naturellement, la personne racontait la relation amicale qu'il avait nouée avec des membres de l'armée vietnamienne, et critiquait fortement les actions du gouvernement américain. Les proches se voyaient donc eux aussi influencés par ses écrits et relayaient le message au sein de la société, créant ainsi une propagation importante et rapide d'un sentiment d'aversion vis-à-vis du gouvernement des Etats-Unis.

Cette anecdote illustre très bien la puissance de la psychologie dans une technique d'influence de masse, qui surpasse en terme d'efficacité une stratégie fondée sur la diffusion forcée et imposée d'un message dans l'esprit des individus.

Nous pourrons ainsi déstabiliser ou influencer un concurrent en utilisant une technique qui est extrêmement efficace, le « déséquilibre heiderien ». Celle-ci consiste à mettre l'adversaire en état de déséquilibre cognitif. Gilly définit ce concept comme une "dynamique interactive, caractérisée par une coopération active avec prise en compte de la réponse ou du point de vue d'autrui et recherche dans la confrontation cognitive d'un dépassement des différences et contradictions pour parvenir à une réponse commune". Ce conflit sera généré en liant l'image de la cible à un élément qui génère de l'animosité chez la plupart des individus (tensions sociales, licenciements de masse, affaires de corruption etc).

Le but est ici d'amener l'adversaire à se trouver opposé à l'opinion publique ou à un acteur clé déterminé afin qu'il ressente un réel état de malaise et de tension psychologique généré par un conflit intérieur extrêmement puissant et désagréable. Il aura donc tendance à chercher à tout prix à rééquilibrer cette « balance cognitive » en modifiant son comportement pour le rendre conforme aux attentes de son environnement et en accord avec les normes et valeurs sociales véhiculées par nos sociétés (honnêteté, intégrité, solidarité,...).

Une bonne stratégie d'influence se doit donc de reposer principalement sur une approche psycho-sociologique. Savoir se mettre à la place de son concurrent et de son adversaire pour élaborer ses propres actions stratégiques est une aptitude qui demande énormément d'effort et de patience. Mais maîtriser ces techniques peut produire des effets si importants qu'il serait dommage de négliger cet aspect. Nous pourrons ainsi dire que notre stratégie aura véritablement été efficace si nous avons réussi à créer un phénomène de "normalisation" des comportements, c'est-à-dire une convergence des individus sur un même jugement qui aura au préalable été préparé et conditionné par notre travail préparatoire ou la production par un individu isolé d'une attitude conforme à la majorité. Dans le cadre d'un processus de veille, nous serons alors capable d'optimiser les relations interpersonnelles afin de fluidifier les circuits de diffusion de l'information, à la fois internes et externes.

L'humain étant le cœur de l'Intelligence Economique, connaître et utiliser la psychologie pour dynamiser ce processus est absolument indispensable. Un bon dirigeant ou responsable IE sera donc aussi un bon psychologue, à l'écoute de son environnement et sachant comment aborder les individus pour les amener à volontairement devenir eux-mêmes des acteurs stratégiques au service de l'entreprise.

Réf : infoblogwar.blogspot.com

Psychologie: Comment lire un article scientifique en psychologie sociale ?

Lorsqu’il aborde pour la première fois la littérature scientifique en psychologie sociale, le lecteur peu habitué à ce genre d’écrits est très souvent intimidé, voire dérouté, et ce qui devrait être un passionnant récit des travaux du chercheur devient un décryptage laborieux. Généralement, le lecteur profane entreprend de lire cet article comme n’importe quelle autre pièce de prose, phrase après phrase, mot après mot. Toutefois, il apparaît que cette stratégie ne soit pas appropriée lorsque le lecteur n’est pas habitué à la littérature scientifique, à son jargon et à ses outils. Il est toutefois remarquable que les publications scientifiques suivent en réalité une structure très précise qui a pour objectif de faciliter la lecture et permettre de suivre les idées du chercheur. Cet article se propose d’apporter une aide à la lecture d’articles scientifiques en analysant les différents types de publications, et en apportant quelques techniques de lecture lors des premiers abords. Nous pensons qu’après avoir décodé la structure générale d’un article, le lecteur abordera plus sereinement cette forme particulière de littérature.
Il existe différents types de publications scientifiques en psychologie. Les principales lectures obligatoires auxquelles les étudiants sont confrontés sont des ouvrages individuels ou collectifs, des chapitres de manuel, ou encore des articles de revues. Ces publications sont en réalité de natures très différentes et ne suivent pas toujours les mêmes exigences. En outre, la crédibilité qui peut-être conférée à chacune n’est pas la même. Sans être garantes d’un crédit sans limites, les revues à comité de lecture offrent la plus grande exigence au niveau de la qualité scientifique. En effet, ces revues passent par ce qui s’appelle un processus d’expertise : pour chaque article envoyé à ces revues, des experts sont désignés parmi les spécialistes du domaine étudié (les « pairs ») pour évaluer les articles, demander des corrections ou des précisions sur certains points du texte, ainsi que pour donner leur avis final sur l’acceptation de l’article pour publication ; on parle alors d’évaluation par les pairs ( peer-reviewing  ).À l’issue de ce processus d’expertise, seule une petite proportion d’articles1 parmi ceux soumis est finalement publiée. Par conséquent, la sélection opérant,les articles qui arrivent à la fin du processus de publication sont indéniablement d’une plus grande qualité scientifique. Cela ne doit pas pour autant discréditer les autres formes de publications, qui peuvent également être de grande qualité scientifique, ni idéaliser les articles parus dans les revues à comité de lecture en leur attribuant une confiance aveugle : l’idéal est de connaître les critères de sélection des publications pour rester critique et ainsi réaliser ses choix en connaissance de cause. Dans cet article, nous traiterons principalement des articles publiés dans les revues à comité de lecture, qui concernent la plus grande part de l’apport scientifique de la psychologie sociale. Les revues scientifiques de ce type ne suivent pas une voie de diffusion classique.
Elles sont généralement distribuées par le biais d’associations de recherche pour lesquelles l’adhésion fait également office d’abonnement à la revue. La fréquence de parution de ces revues est variable (certaines sont mensuelles, d’autres semestrielles, etc.), de même les publications d’articles ne donnent pas droit à une rétribution : ni droits d’auteur, ni pige ne sont touchés lors de la publication d’un article. Tout au plus, la satisfaction d’avoir apporté sa contribution à la science.

Les revues scientifiques en psychologie sont variées.
Certaines sont généralistes et s’intéressent à la psychologie de manière générale (p.ex., l’Année psychologique, Psychologie française, le Bulletin de psychologie), d’autres traitent exclusivement de psychologie sociale (p.ex., Cahiers internationaux de psychologie sociale, Revue internationale de psychologie sociale Journal of social psychology ).
Il existe également des revues spécialisées dans un domaine spécifique. De la sorte, certaines revues sont spécialisées dans la publication de recherches appliquées (p.ex., Basic and applied social psychology; Revue européenne de psychologie appliquée ) ou encore des revues traitant spécifiquement d’un champ de recherche de la psychologie (par exemple Journal of non verbal behavior ;Group processes and intergroup relations ).Outre le sujet des articles qui sont publiés au sein de ces revues, le type d’article publié est lui-même dépendant de la revue : certaines revues sont spécialisées dans la publication d’articles présentant des revues de question(p.ex., Psychological bulletin, European review of social psychology ), alors que d’autres sont spécialisées dans la publication d’articles empiriques (p.ex., Journal of expérimental social psychology, Revue internationale de psychologie sociale ).

 Les différents types d’articles scientifiques
Trois grandes catégories d’articles peuvent être définies. Le rapport de recherche empirique 2 (research report) est le plus habituel et présente de manière formelle une étude ou une série d’études qui n’a jusqu’alors jamais été publiée. Il existe également une version très courte du rapport de recherche, appelé article court, note de recherche ou short note. Il est, en somme, un rapport de recherche condensé (2 à 5 pages) et propose un strict résumé de l’étude, où seuls la procédure et les résultats sont réellement développés. Les études publiées dans ces articles courts disposent de données intéressantes, mais ne proposent généralement pas d’avancées théoriques majeures. La revue de questions ( review article ) présente un panel d’études publiées généralement dans l’objectif d’émettre de nouvelles hypothèses ou de suggérerdes points de développement pour les recherches futures. Ce type d’article ne comporte pas d’études empiriques. Enfin, l’article théorique (theoritical article) est proche de la revue de question, mais l’auteur va y développer de nouvelles explications théoriques ou encore comparer l’efficacité d’une théorie par rapport à une autre.

Structure d’un article scientifique
La plupart des articles suivent une architecture stricte prescrite par l’association américaine de psychologie ( American psychological association, APA) ou toute autre norme prescrite par la revue qui le publie. Celles-ci apportent l’avantage de faciliter la diffusion d’informations pour le lecteur qui peut alors se focaliser sur le fond de l’article sans avoir à jongler avec les différents styles des auteurs. L’APA publie pour cela un ouvrage complet 3 qui définit les normes d’écriture, de présentation et les références d’articles (c.-à-d., les fameuses normes APA).La majorité des articles de type rapport de recherche suit une structure classique en cinq parties principales. Dans un premier temps, le lecteur va lire le titre et le résumé de l’article. Dans la mesure où ils contiennent les informations qui vont permettre de déterminer l’utilité de l’article en fonction de ses objectifs, il ne faut pas les négliger. Ensuite, le corps de l’article comprend une partie introduction théorique, présentant les recherches antérieures qui sont pertinentes pour le présent article, une partie empirique, décrivant la méthode employée pour le recueil des données, suivie d’une partie résultats,qui développe les analyses statistiques permettant d’appuyer les conclusions de l’auteur. Enfin, la dernière partie nommée la discussion, sera destinée à l’analyse des résultats et à la mise en relation de ces derniers avec la littérature existante.
 Lorsque l’article présente plusieurs études, chaque partie peut être elle-même divisée en sous parties. La structure de l’article permet au lecteur de s’orienter à travers le texte en fonction des informations qu’il cherche, que ce soit un point théorique, une précision méthodologique, ou les conclusions d’une étude.
Nous allons maintenant voir plus en détail la structure d’un article classique, et les informations que sont susceptibles de contenir chacune des parties.

 Titre et résumé
Le titre est le premier indicateur du contenu d’un article. Les normes voudraient qu’il soit possible de comprendre la problématique de l’article à partir de la simple lecture du titre. Toutefois, dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas. Les chercheurs sont en effet dotés d’un certain sens de l’humour et les titres ont parfois davantage pour objectif de réaliser une accroche auprès le lecteur que de réellement informer de la problématique (p.ex., « la relation entre perception et comportement, ou comment gagner au Trivial poursuit 4» ;« la Terre est ronde (p< .05)5»). Les articles disposent également d’un résumé (abstract). Le titre de la publication, le nom et l’affiliation institutionnelle des auteurs est accompagné d’un résumé du texte n’excédant pas 200 mots. Celui-ci se doit de synthétiser l’objectif de l’étude, la méthodologie utilisée, les résultats et même les conclusions des auteurs. Une lecture du résumé est censée permettre au lecteur de se forger une idée du contenu l’article et ainsi lui donner suffisamment d’éléments avant de se lancer dans lecture du corps de l’article. Ces résumés sont accessibles sur les bases de données informatiques et permettent aux chercheurs ou aux étudiants d’identifier les articles qui correspondent à leurs besoins.
 « Les chercheurs sont dotés d’un certain sens de l’humour et les titres ont parfois pour objectif de réaliser une accroche auprès le lecteur »

 Introduction
Les auteurs posent les bases de l’article dans l’introduction. Celle-ci doit poser le fil conducteur du texte et permettre au lecteur de comprendre les motivations qui ont mené les auteurs à mettre en place cette recherche. Ils y présentent généralement le problème et l’état actuel des choses. L’introduction est en fait bien plus qu’une entrée en matière dans la mesure où elle présente également le contenu théorique initial à la recherche. Chaque introduction est généralement composée de trois parties. La première partie consiste en une ouverture de l’article, la deuxième fait état de la littérature pertinente pour le sujet étudié dans l’article, tandis que la troisième partie sert de transition vers l’étude présentée par les auteurs.
Les premiers paragraphes sont la plupart du temps généraux, et il est difficile de trouver des articles qui rentrent dans le vif du sujet dès la première ligne. En effet, il est de coutume (et recommandé) d’engager un article en entonnoir, c’est-à-dire de commencer par un point de vue général pour aboutir à une problématique spécifique. Il existe plusieurs stratégies d’ouverture. Kendall, Silk et Chu (2000) en identifient six, mais leur liste n’est pas exhaustive.
D’après ces auteurs, l’ouverture de l’article peut se faire à l’aide d’une question rhétorique, d’une anecdote de la vie quotidienne, d’une analogie ou d’une métaphore, permettant d’élargir l’étendue de l’article, d’un fait ou de chiffres marquants, d’un fait historique ou bien d’une mise en avant de l’importance de la présente étude en insistant sur le manque de recherche sur le sujet.

La deuxième partie de l’introduction sert à présenter les recherches précédentes qui sont pertinentes pour l’étude développée dans l’article. La partie théorique d’une étude peut répondre à différents objectifs. Tout d’abord, cette présentation peut faire l’objet d’une approche historique d’un champ de recherche. Après avoir situé la thématique générale, les auteurs en viennent souvent à développer brièvement l’évolution historique ou du moins les dernières approches en date. Puis ils proposent une nouvelle ligne de recherche dans la continuité de la précédente. La partie théorique peut avoir pour objectif d’intégrer, comparer, ou confronter des champs théoriques ou des résultats empiriques de différentes sous disciplines ou d’approches conceptuelles différentes, afin d’en expliquer les incohérences. L’objectif final de cette partie théorique peut également être d’introduire un nouveau modèle conceptuel, qui sera évalué dans la ou les expériences rapportées dans l’article La troisième partie de l’introduction fait la transition entre la théorie et la partie empirique. Elle présente les hypothèses théoriques des auteurs et résume la méthodologie qu’ils ont employée pour tester ces hypothèses. Dans le cas d’articles proposant plusieurs études, l’introduction générale est plus longue et chaque étude fait l’objet d’une petite introduction qui lui est propre, présentant les nouveaux concepts qui sont ajoutés dans cette nouvelle expérience. Lors de la lecture d’un article, vous devez vous assurer d’avoir compris l’ensemble de cette partie. Si vous ne savez pas pour quelles raisons les auteurs traitent de la problématique soulevée, il vous sera impossible de comprendre convenablement la méthode, les résultats, ni même la discussion. Jordan et Zanna (1999) proposent de se poser les questions suivantes après avoir lu la partie introductive pour s’assurer d’avoir compris la démarche des auteurs : Quel est le problème étudié et pour quelles raisons ? De quelle manière cette étude s’inscrit-elle dans les études précédentes et propose-t-elle d’aller au-delà ? Quels problèmes les chercheurs espèrent-ils résoudre avec cette étude et de quelle manière ?

Méthode
La méthode correspond en quelque sorte à une recette de cuisine : de la même manière qu’une recette énumère les ingrédients, le type d’ustensiles à utiliser et le mode de cuisson nécessaire, la méthode informe de la procédure à suivre pour répliquer les résultats des auteurs, pour obtenir le même gâteau en somme. Cette partie est en effet très précise dans la mesure où, si la science se base sur la recherche d’invariants, les résultats d’une étude doivent de ce fait être« réplicables » lorsque les mêmes conditions sont réunies. La méthode doit permettre à elle seule de reproduire la même expérience et – normalement – d’observer les mêmes résultats. La précision de cette partie, doit également donner les moyens aux autres chercheurs et experts d’examiner la procédure et déceler d’éventuels éléments d’ordre méthodologique susceptibles d’expliquer les résultats obtenus, voire de remettre en cause la validité de l’étude. De ce fait, la méthode est la partie la plus structurée du texte. Elle présente, point par point, les éléments avec assez peu de variation d’un article à l’autre. Cette partie peut éventuellement être engagée par une vue d’ensemble (overview), qui résume la méthode et permet de se forger une idée du déroulement de l’étude. Par la suite, on retrouve généralement une sous partie nommée population (ou participants), qui précise le type et la taille de l’échantillon utilisé dans le cadre de l’étude ainsi que le mode de recrutement. Le matériel  est également précisé, la nature des questionnaires et leur construction. Lorsque des équipements particuliers (en anglais, apparatus), appareils d’enregistrement physiologique (p.ex., électro-encéphalogramme, réflexe psycho galvanique) ou procédures informatiques (p.ex., Implicite attitude test), ont été utilisés pour l’étude, les spécifications des outils et paramètres utilisés sont informés dans cette section. L’élaboration d’une expérience ou d’un questionnaire censé mettre en évidence le lien entre plusieurs concepts psychologiques nécessite d’opérationnaliser ces concepts, c’est-à-dire de les rendre observables dans le contexte étudié. La plupart des concepts qui intéressent les psychologues ne sont pas toujours facilement observables directement. Par exemple, il est impossible d’observer directement l’intelligence d’une personne. Le chercheur doit donc définir l’intelligence (comme une faculté générale – le facteur g — ou comme un ensemble de facultés indépendantes — l’intelligence spatiale, numérique, et verbale), puis construire un outil (par exemple, un test de Quotient intellectuel) qui lui permet de mesurer l’intelligence ainsi définie. On nomme « variable »le concept étudié et sa définition opérationnelle 6. Cette opérationnalisation est présentée dans la partie méthode. L’ensemble des variables opérationnelles est défini dans la méthode.
 La procédure (ou le déroulement) Présente l’étude comme une histoire qui est contée au lecteur et narre ce qui arrive aux participants depuis leur recrutement jusqu’à la fin de l’étude. Pour bien comprendre la procédure utilisée par le chercheur,
Imaginez-vous à la place du participant qui arrive au laboratoire. Une dernière sous partie intitulée Démystification (ou plus généralement Debriefing), informe de la manière dont les participants sont mis au courant des objectifs réels de l’étude. Enfin, la méthode est close par les hypothèses opérationnelles, soit la traduction concrète des attentes théoriques des chercheurs. La compréhension de la méthodologie reste essentielle pour évaluer la pertinence, les limites, et la validité des conclusions d’une étude. L’acquisition de connaissances méthodologiques se faisant difficilement à la seule lecture des articles empiriques, il est de ce fait nécessaire de se familiariser avec ces concepts en suivant un cursus d’étude, ou en lisant des articles ou chapitres spécialisés dans la méthodologie. Une bonne approche peut se faire à l’aide de lecture d’ouvrages portant sur la méthodologie de recherche (p.ex. Delhomme & Meyer, 2002 ; Reis & Judd, 2000). Une fois que vous serez à l’aise avec ces concepts méthodologiques, posez-vous les questions suivantes lors de vos lectures : quelles sont les variables et comment sont-elles opérationnalisées ? Ces opérationnalisations sont-elles pertinentes pour tester les hypothèses avancées ? Quelle validité peut-on conférer à la méthodologie mise en place ? Selon ses objectifs, cette partie peut n’être que survolée par le lecteur. En effet, elle apporte uniquement des réponses d’ordre technique et il est tout à fait possible de s’en passer et de n’y revenir que si vous avez besoin d’un éclairage sur la manière dont les chercheurs ont mis en place leur étude

 Résultats
La partie résultats est généralement la plus complexe à comprendre pour le lecteur novice. En effet, elle est bien souvent perçue comme une suite de tests statistiques plus ou moins hermétiques aux étudiants qui s’attardent tout au plus quelques minutes sur les tableaux résumant les données. Pourtant, si elle n’est pas essentielle à la compréhension du texte, elle apporte des informations indispensables concernant les informations recueillies lors de l’étude et les conclusions qui peuvent en être tirées. Cette partie présente ainsi dans un premier temps des statistiques descriptives et y adjoint des tests statistiques pour évaluer les hypothèses avancées par les auteurs. La plupart du temps, les résultats sont résumés sous forme de phrases auxquelles sont accolées les informations statistiques (moyennes et tests). Des tableaux ou des figures peuvent également être présents pour synthétiser les données
 La difficulté de cette partie réside dans la compréhension des tests et les valeurs qui y sont associées. La plupart du temps, ce sont des tests statistiques classiques qui sont utilisés (analyse de la variance – ANOVA, χ2, régression…). Prendre le temps de bien comprendre les informations contenues dans ces tests permet de faciliter la lecture. Plusieurs informations sont systématiquement contenues lors de la présentation d’un test. Les auteurs commencent généralement leur analyse par citer le test utilisé (p.ex.,χ2 ; ANOVA ; régression), puis après avoir donné le sens des résultats avec les moyennes, ils donnent les informations sur les tests : les paramètres du test le plus souvent entre parenthèses (degrés de liberté effet ; degré de liberté erreur ; nombre de participants), la valeur de l’indice du test (p.ex.,χ² ;t ;F), ainsi que le fameux P associé aux valeurs de l’indice et des paramètres. Les indices ( F ,t , ou autres) correspondent à une valeur calculée sur la base des données et qui va être comparée à une valeur théorique (trouvée dans des tables de F, de t, etc.) afin d’obtenir un autre indice : p. Ce P correspond à la probabilité d’obtenir cette valeur calculée, et donc d’observer ces résultats, si ceux-ci étaient dus au hasard. En d’autres termes, le p indique le risque de se tromper en considérant que l’hypothèse nulle 7 est rejetée, et qu’il existe un lien entre les variables étudiées. En psychologie, la valeur arbitraire d’acceptation d’un effet est arbitrairement établie à .05, soit5% de risque. Si la valeur de p est inférieure à ce seuil, c’est que les données montrent un effet statistiquement significatif. Quand le risque est supérieur à .10, les auteurs marquent  ns à côté du test pour indiquer le celui-ci est non significatif. Certains auteurs vont également marquer cet effet si la valeur oscille entre .05 et .10 (entre 5% et 10% de risque) : ils parlent alors d’effets tendanciels. Cependant, cette appellation laisse supposer que la probabilité de rejeter l’hypothèse nulle à tort est un indicateur de l’ampleur de la relation entre les variables étudiées, ce qui est absolument faux. Pour connaître la force de la relation entre les variables étudiées, le chercheur doit indiquer d’autres informations, telles que la taille de l’effet. Les indices de taille d’effet varient selon les tests statistiques utilisés, mais le principe reste le même : plus la valeur de l’indice de taille d’effet est grande, plus l’effet mesuré est important. De manière générale, ces indices de taille d’effet représentent la proportion de la variabilité dans la mesure de l’une des variables étudiées qui peut être expliquée par la ou les autres variables d’intérêt. Il vous est conseillé de prendre le temps de lire cette partie, même si vous ne comprenez pas entièrement les informations qui y sont contenues lors de vos premières lectures. Par ailleurs, si vous envisagez de consulter régulièrement cette littérature spécialisée (dans le cadre de vos études, ou autre), vous familiariser avec ces tests vous permettront, lorsque vos connaissances en statistiques seront
suffisantes, à la fois de mieux comprendre l’utilité des statistiques enseignées et de mieux comprendre ce que les auteurs ont réalisé pour vérifier leurs hypothèses. Cette partie est, sans autre comparaison, ce qui est le plus difficile
à comprendre pour un lecteur non-initié. Toutefois, rassurez-vous, tous les étudiants sont passés par cet apprentissage, et ce n’est pas insurmontable pour peu que l’on s’attache à essayer de comprendre.

 Discussion
La discussion est la partie finale de l’article dans laquelle les auteurs résument
leurs résultats et tirent leurs conclusions. Dans certains cas, l’article ne présente pas une étude, mais plusieurs études. La discussion est alors scindée en plusieurs sous discussions : une courte discussion après chaque présentation d’expériences, puis une discussion générale qui synthétise l’ensemble des informations. La plupart du temps, les auteurs reprennent les principaux résultats de leur analyse, puis discutent les hypothèses associées. Les données sont alors interprétées au regard de la théorie annoncée dans l’introduction. Le dernier paragraphe de l’article va souvent plus loin que l’analyse même des données et suggère des études futures pour continuer l’investigation de la théorie développée. La discussion est généralement la partie plus riche de l’article. C’est dans cette partie que les auteurs réalisent réellement un apport pour la discipline : ils y synthétisent les objectifs de la recherche, les résultats, et leurs conclusions personnelles. Toutefois, comme vous devez l’avoir compris, il est indispensable d’avoir bien compris l’introduction pour appréhender la discussion. Si lors de la lecture de cette partie, vous vous rendez compte que vous ne la comprenez pas, retournez à l’introduction pour reprendre les bases de l’article

 Quelques conseils aux étudiants
Lisez régulièrement et intelligemment
Ne vous laissez pas impressionner. Prenez le temps de lire des articles et
Ouvrages de psychologie. Mettez-vous au calme et lisez régulièrement. Plus vous en lirez, plus vous prendrez de l’assurance dans ces lectures et plus il vous sera, de fait, plus facile de comprendre leur contenu. Il est possible de lire un article scientifique en utilisant plusieurs stratégies. Avant tout, il est important de définir les objectifs qui vont guider la lecture de l’article. La façon d’aborder l’article va différer en fonction des informations qui vous sont nécessaires. Un article scientifique ne sera pas abordé de la même façon que vous cherchiez une information théorique, un point de méthodologie, un résultat particulier, ou une interprétation de ce résultat. Parmi les stratégies disponibles, il est possible notamment de ne pas lire l’intégralité de l’article. Par exemple, le lecteur débutant pourra commencer en ne lisant que les parties introduction et discussion, le temps de se familiariser avec le jargon employé dans la discipline ou dans le champ d’étude qui l’intéresse, et pourra ensuite changer de stratégie. Il est possible également de lire les différentes parties dans le désordre. Par exemple, le lecteur qui désire se familiariser avec la lecture des résultats d’une étude pourra lire la partie empirique de l’article.
Après avoir lu la partie discussion. En effet, cette dernière reprenant les résultats sous forme de phrases, elle peut servir de guide dans la compréhension des analyses statistiques. Finalement, le lecteur est libre de choisir la ou les parties à lire, en fonction de ses objectifs immédiats. Assurez-vous également d’avoir compris le résumé avant de vous lancer dans la lecture complète de l’article. Cela peut sembler évident, mais une compréhension générale de l’article devrait vous faciliter la compréhension des détails.
N’hésitez pas à relire un article que vous n’avez pas compris dans son intégralité lors d’une première lecture. Si vous disposez de suffisamment de temps, laissez-vous quelques jours puis recommencez à lire l’article depuis le début. Il est essentiel de comprendre l’article pour restituer fidèlement les idées des auteurs. En faisant l’impasse sur des notions incomprises ou si vous ne comprenez pas le point de vue de l’auteur, vous risqueriez de mal interpréter ses propos. De plus, comme chaque auteur a des objectifs différents, et met l’emphase sur des faits ou résultats différents, lorsqu’il décrit une recherche dans son propre article, il est recommandé de vous référer à la source originale, plutôt que d’aborder un article par le biais d’un autre article. Ce conseil est particulièrement pertinent pour les personnes qui utilisent cette source dans le but d’écrire un article journalistique ou un résumé de recherche. Il est parfois surprenant de découvrir un article après en avoir pris connaissance par le biais d’un autre auteur, pour s’apercevoir que les conclusions tirées par ce dernier sont à mille lieues de celles de l’auteur original.
« Lisez régulièrement et intelligemment... n’ayez pas peu des articles anglophones... rédigez des synthèses d’articles... »

source: academia.edu