L'importance de la psychologie dans un processus de veille et d'influence

Les techniques d'influence basées sur des méthodes de psychologie sociale ont toutes quelque chose en commun : elles n'emploient aucune pression physique, morale ou économique pour induire le comportement attendu de la part de celui qui les utilise

Effectuer une veille de son environnement proche et lointain constitue la base de tout travail d'Intelligence Economique, travail qui intègre le fait de guetter les signaux faibles pour établir des corrélations avec des signaux dits "lourds" pour élaborer une réflexion et une stratégie d'influence. Nous effectuons la plupart du temps un travail centré sur l'observation et l'étude de ces signaux, en oubliant souvent de prendre en compte des facteurs complémentaires qui pourtant sont absolument primordiaux : les facteurs psychologiques et humains. En effet, beaucoup d'entreprises négligent souvent la dimension humaine dans leur politique stratégique et se contentent seulement de rechercher l'information de manière automatisée, sans prendre le temps de s'intéresser à l'ensemble des employés qui pourtant sont souvent détenteurs d'information pertinente et à forte valeur ajoutée.

Ainsi, réduire le processus complexe de veille (recherche, collecte, analyse, traitement et diffusion de l'information) à ce simple travail mécanique revient à mettre de côté une partie fondamentale de cette pratique. A n'utiliser que des outils et méthodes purement techniques pour capter notre information, nous finissons par nous aveugler et nous passons à coté d'éléments fondamentaux qui peuvent pourtant être indispensables voire décisifs dans notre processus stratégique. La veille ne se limite pas qu'à la seule recherche d'information dite "formelle" c'est-à-dire formalisée sur un support, qu'il soit numérique ou bien physique. Elle doit aussi pour être complète intégrer pleinement la recherche et l'exploitation de sources "informelles" (immatérielles). Une bonne recherche d'information passe par la prise en compte et la considération de l'autre en tant que source et membre d'un réseau d'importance capitale pour l'entreprise. En effet, 70 % de l'information dite "fermée" (c'est-à-dire non accessible à tous) passant par le réseau et la voie orale, il faut toujours prendre sérieusement en compte le facteur humain et ne jamais négliger les relations inter-individuelles.

La meilleure façon d'améliorer ce travail est de convaincre les individus de devenir eux-même des relais d'information, et ainsi participer au travail d'Intelligence collective de l'entreprise. La plupart des employés d'une entreprise ne perçoivent pas naturellement la nécessité d'un plan d'Intelligence Economique, ce concept étant très flou dans l'esprit des individus. Les responsables IE auront donc la lourde tâche de sensibiliser et former l'ensemble des employés, quelque que soit leur statut, à l'importance du renseignement dans l'entreprise et à naturellement diffuser toute information pouvant alimenter la mémoire, sans crainte de divulguer une information jugée beaucoup trop souvent inutile. Toute information étant potentiellement stratégique à partir du moment ou elle est bien exploitée, les employés pourront alors se transformer en acteurs naturels au sein de l'entreprise devenue alors un grand centre d'analyse et d'exploitation de l'information ouverte et fermée.

La psychologie peut réellement améliorer ce travail de sensibilisation et de préparation aux employés de l'entreprise. Ainsi, cette discipline regorge de techniques et de notions pouvant être utilisées à des fins communicationnelles que ce soit pour convaincre, persuader ou encore manipuler au sens positif du terme. Par exemple, un professionnel de l'Intelligence Economique pourra sensibiliser des employés en utilisant ce que l'on appelle en psychologie sociale la technique de la « crainte puis soulagement ». Ainsi, il pourra lui faire visionner une vidéo (les travaux de Barthes ou Debray notamment ont permis de démontrer que les images étaient beaucoup plus influentes psychologiquement que les textes) montrant l'entreprise déposer le bilan et licencier des salariés pour avoir essuyé plusieurs échecs dus à un manque d'anticipation généré par une carence en information stratégique. Cette vidéo se conclue par un message positif (qui a pour but de générer sur la cible le soulagement et la tendance future à l'action volontaire et naturelle). Ce message dit que si l'ensemble des employés devient un acteur du renseignement, alors l'entreprise sera beaucoup plus à même de faire face aux problématiques concurrentielles car elle sera en possession d'une véritable démarche de diffusion immédiate et spontanée d'information générée et véhiculée par l'ensemble des personnes travaillant au sein de celle-ci.

Mais attention : pour que la « manipulation » fonctionne réellement, il faut que l'individu se sente parfaitement libre de ses actes et choix. Sinon, l'engagement personnel sera nul et il est fort probable que la personne ne reproduise plus ce comportement par la suite. Nous pourrons mesurer les effets de notre technique par l'étude des points suivants :

-Radicalisation du comportement. La personne est devenue réellement convaincue de la nécessité de produire cette nouvelle action (à savoir ici le fait de délivrer et diffuser naturellement toute information au sein de l'entreprise).

-Résistance aux attaques. L'individu défend son nouveau comportement si une personne vient remettre en cause son bien-fondé.

-Tendance à l'action. La cible aura naturellement tendance à reproduire par la suite ce comportement sans l'intervention d'une force extérieure.

Si ces trois aspects sont réunis, alors nous pourrons dire que les individus au sein de notre entreprise auront été bien conditionné et notre action de sensibilisation au processus de veille et de réseau interne bien entamée. Cette technique est de plus un excellent moyen pour amener les individus à réaliser leur importance au sein de leur organisme et à prendre conscience que leur participation active au processus de collecte et de diffusion d'information peut sauver l'entreprise, ou du moins lui permettre d'être bien mieux armée pour affronter des concurrents internationaux qui ont depuis longtemps compris l'importance de la généralisation du travail de veille à l'ensemble du personnel de l'entreprise. C'est donc aussi un moyen d'améliorer la communication interne de l'entreprise qui est aussi déterminante dans le fonctionnement de celle-ci, car permettant de diminuer les tensions et d'augmenter la cohésion des individus au sein de l'organisation.

Le responsable Intelligence Economique doit donc connaître pour être efficace dans son action d'interrogation des réseaux les techniques psycho-socio-cognitives qui amènent à conditionner le comportement d'une personne afin de l'amener à divulguer d'elle-même l'information, sans jamais utiliser de contrainte ou de pression explicite mais simplement en l'engageant dans des actions non coûteuses en faveur de cette démarche ou par l'utilisation de techniques avérées. La veille est donc aussi une action psychologique et humaine. Elle doit pouvoir anticiper les réactions des individus pour les aborder sans générer de méfiance de la part de ceux-ci, et ainsi éviter une dégradation volontaire de l'information qui constitue un problème grave dans ce processus.

Dans le cadre du réseau interne, on parlera donc de techniques visant à améliorer la perception de la personne vis-à-vis d'elle-même et de l'entreprise, en lui faisant prendre conscience de la nécessité pour le bon fonctionnement de celle-ci de son implication entière dans le travail de veille et d'interrogation de sources. Le but sera ici de tout faire pour éliminer le désintérêt et la rétention d'information de la part des employés, ce qui constitue trop souvent un facteur d'altération du mécanisme de recueil d'information. Un bon travail de veille ne peut s'effectuer que dans une relation de confiance entre les individus.

Dans le cadre du réseau externe, il s'agira d'influencer le comportement d'individus qui à priori n'ont aucun intérêt à divulguer de l'information. Un important travail psychologique sera donc mis en place pour élaborer une stratégie visant à amener ces individus à fournir "librement" l'information recherchée (notamment au moyen de techniques d'engagement et de méthodes de pression inconscientes générées par la stimulation de certaines zones de leur cerveau via ces méthodes). "La veille est l'affaire de tous". Tous les employés sont de possibles détenteurs d'information capitale pour la stratégie présente ou future de l'entreprise. Savoir comment les aborder et leur demander une requête est donc aussi primordial que de savoir rechercher une information sur du support numérique ou physique. C'est pourquoi il faut intégrer dans toute démarche et politique d'Intelligence Economique une dimension psychologique visant à accroître l'efficience de ce travail.

Etudions maintenant l'élaboration d'une stratégie d'influence sur le WEB dans le but de diffuser une information stratégique et rendre un message le plus efficace possible, c'est-à-dire toucher et modifier le comportement du plus grand nombre de personnes et créer un effet de propagation ou "buzz" important. Il est important de souligner qu'influencer se distingue clairement du fait de convaincre, persuader ou encore manipuler. Influencer un individu signifie le fait de lui faire subir une pression externe, directe ou indirecte, consciente ou inconsciente afin de conditionner son comportement en l'amenant à adopter une attitude favorable par rapport à notre objectif. Le domaine de la psychologie et notamment la psychologie sociale (qui étudie les interactions entre les individus) déborde là aussi de conseils et de techniques approuvées scientifiquement pour influencer un individu. Ainsi, Solomon Asch par exemple a démontré qu'un individu subissant une pression d'un groupe organisé va subir une influence de cette majorité, et s'adapter à eux pour ne pas se sentir rejeté. A l'inverse, Serge Moscovici a démontré qu'une minorité peut aussi parvenir à influencer une majorité qui pourtant est bien établie et légitime au sein de la société pour peu qu'elle soit organisée, constante et déterminée. Voilà donc deux informations très judicieuses qui vont nous fournir les armes pour construire notre stratégie.
 
Appliquons donc dans notre travail les principes que nous avons vu, à savoir les phénomènes d'influence majoritaire et minoritaire.

Si nous voulons modifier le comportement et la perception d'un individu en particulier, nous pourrons opter pour la première technique et si nous cherchons à influencer une masse d'individus, nous opterons pour la technique de Moscovici. Bien entendu, ces deux techniques ne sont pas les seules et peuvent être complétées ou remplacées par de nombreuses autres, tout aussi judicieuses et adaptées.

Ce travail de "psychologisation stratégique" de l'influence a dans l'histoire été appliqué de très nombreuses fois et a généré des résultats étonnants d'efficacité. Pendant la guerre du Vietnam, l'armée vietnamienne avait ainsi trouvé une technique surprenante pour influencer l'opinion publique américaine. Lorsqu'un soldat ennemi était capturé, il était accueilli par une personne se présentant comme un médecin. Le premier jour, cette personne se contentait de lui soigner ses blessures et s'en allait aussitôt le travail terminé. Les jours suivants, il continuait à prendre soin du prisonnier et entamait la conversation, sans pour autant nouer de véritables liens avec son hôte. Petit à petit, le médecin s'immisçait dans la vie de la personne et créait une véritable relation d'"amitié" avec son patient, ce qui avait pour but de mettre la personne de plus en plus en confiance et de détruire ses barrières défensives bien présentes au début de son incarcération.
Les discussions devenant de plus en plus intimes et profondes, le médecin faisait prendre conscience au prisonnier que le gouvernement vietnamien n'était pas aussi cruel que celui des Etats-Unis, qui n'hésitait pas à massacrer des innocents pour atteindre ses objectifs. Mieux encore, il réussissait grâce à cette attitude affectueuse à faire naître chez la personne un dégoût pour son propre camp. Le prisonnier se voyait également offrir la possibilité d'envoyer du courrier à ses proches. Naturellement, la personne racontait la relation amicale qu'il avait nouée avec des membres de l'armée vietnamienne, et critiquait fortement les actions du gouvernement américain. Les proches se voyaient donc eux aussi influencés par ses écrits et relayaient le message au sein de la société, créant ainsi une propagation importante et rapide d'un sentiment d'aversion vis-à-vis du gouvernement des Etats-Unis.

Cette anecdote illustre très bien la puissance de la psychologie dans une technique d'influence de masse, qui surpasse en terme d'efficacité une stratégie fondée sur la diffusion forcée et imposée d'un message dans l'esprit des individus.

Nous pourrons ainsi déstabiliser ou influencer un concurrent en utilisant une technique qui est extrêmement efficace, le « déséquilibre heiderien ». Celle-ci consiste à mettre l'adversaire en état de déséquilibre cognitif. Gilly définit ce concept comme une "dynamique interactive, caractérisée par une coopération active avec prise en compte de la réponse ou du point de vue d'autrui et recherche dans la confrontation cognitive d'un dépassement des différences et contradictions pour parvenir à une réponse commune". Ce conflit sera généré en liant l'image de la cible à un élément qui génère de l'animosité chez la plupart des individus (tensions sociales, licenciements de masse, affaires de corruption etc).

Le but est ici d'amener l'adversaire à se trouver opposé à l'opinion publique ou à un acteur clé déterminé afin qu'il ressente un réel état de malaise et de tension psychologique généré par un conflit intérieur extrêmement puissant et désagréable. Il aura donc tendance à chercher à tout prix à rééquilibrer cette « balance cognitive » en modifiant son comportement pour le rendre conforme aux attentes de son environnement et en accord avec les normes et valeurs sociales véhiculées par nos sociétés (honnêteté, intégrité, solidarité,...).

Une bonne stratégie d'influence se doit donc de reposer principalement sur une approche psycho-sociologique. Savoir se mettre à la place de son concurrent et de son adversaire pour élaborer ses propres actions stratégiques est une aptitude qui demande énormément d'effort et de patience. Mais maîtriser ces techniques peut produire des effets si importants qu'il serait dommage de négliger cet aspect. Nous pourrons ainsi dire que notre stratégie aura véritablement été efficace si nous avons réussi à créer un phénomène de "normalisation" des comportements, c'est-à-dire une convergence des individus sur un même jugement qui aura au préalable été préparé et conditionné par notre travail préparatoire ou la production par un individu isolé d'une attitude conforme à la majorité. Dans le cadre d'un processus de veille, nous serons alors capable d'optimiser les relations interpersonnelles afin de fluidifier les circuits de diffusion de l'information, à la fois internes et externes.

L'humain étant le cœur de l'Intelligence Economique, connaître et utiliser la psychologie pour dynamiser ce processus est absolument indispensable. Un bon dirigeant ou responsable IE sera donc aussi un bon psychologue, à l'écoute de son environnement et sachant comment aborder les individus pour les amener à volontairement devenir eux-mêmes des acteurs stratégiques au service de l'entreprise.

Réf : infoblogwar.blogspot.com

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