Les résidents de la région de Santa Cruz se font réveiller par des coups répétés à leurs portes et fenêtres et sur leur toit. Intrigués, mais aussi apeurés, ils sortent des maisons avec lampe de poche en main pour trouver la source de leur réveil impromptu. Des oiseaux de mer, en état de frénésie, désorientés, agressent la population et sèment la terreur.
Le vendredi 18 août 1961, au petit matin, à la Une du journal Santa Cruz Sentinel
Seabird Invasion Hits Coastal Homes; Thousands of Birds Floundering in Streets. L’auteur, Wally Trabing, raconte que pendant la nuit, tout le long de la côte de la baie de Santa Cruz, de Pleasure Point jusqu’à Rio Del Mar, une pluie d’oiseaux de mer, pour les connaisseurs en ornithologie ce sont des sooty shearwaters ou puffins fuligineux, est entrée en collision avec les bâtiments côtiers affolant les résidents qui sortent de leur maison pour comprendre ce qui est à l’origine de ce vacarme. Attaqués par ces oiseaux, les gens trouvent rapidement refuge à l’intérieur. A l’aube, dans le brouillard matinal, les rues sont couvertes d’oiseaux morts ou assommés. Près d’eux, des tas de vomissure dégagent une odeur de poisson insoutenable. L’interprétation la plus plausible pour cet événement vient d’un zoologiste de l’Université de Californie, Ward Russell. Il explique que ce type d’oiseaux vit habituellement dans l’hémisphère sud et que l’hiver, ils viennent par troupeaux dans cette région. Parfois, si quelque chose les perturbe alors qu’ils cherchent leur nourriture dans la mer, ils deviennent confus, perdus et cherchent la lumière. Dans la nuit et à l’aube, il y avait un brouillard à couper au couteau et les seules clartés qu’ils voyaient étaient celles des lampadaires, de quelques maisons et les lampes de poche des résidents, ce vers quoi ils se sont dirigés comme hypnotisés. Cependant, c’est un phénomène assez rare et les conditions atmosphériques doivent être assez particulières pour causer cette confusion chez les oiseaux.
Le lundi 21 août 1961, en page 4 du journal Santa Cruz Sentinel
Quelques heures après la nuit des oiseaux fous, le mystérieux producteur d’Hollywood Alfred Hitchcock, propriétaire d’une maison près de la baie, a avisé le journal qu’il utilisera du matériel de l’édition du 18 août pour son prochain film à sensations fortes. Il travaille justement à l’adaptation d’un court récit de l’auteure britannique Daphné Du Maurier intitulé « Les oiseaux » écrit en 1952 qui raconte, bizarrement ou serait-ce une prémonition, l’histoire d’un village envahi par des millions d’oiseaux. Imaginez la chose : c’est du bonbon sur un plateau d’argent pour un tel cinéaste!
Septembre 1963
C’est la première diffusion sur les écrans français du film d’Hitchcock, « Les oiseaux » qui raconte l’histoire de Mélanie, une jeune femme riche qui s’amourache d’un avocat qu’elle connait à peine. Elle se rend dans un petit village de pêcheurs pour lui remettre un couple de perruches. Par ce qui semble être un coup du hasard, une mouette heurte Mélanie à la tête… puis une autre se fracasse contre la porte et tout dérape alors qu’une flopée d’oiseaux agressifs s’invite chez l’avocat. Ce sont les grandes lignes du scénario. Pour rendre son film encore plus réel, Hitchcock prend bien soin de faire allusion, vers la fin, à l’événement d’août 1961 par la bouche de l’un de ses acteurs apeurés par l’attaque des volatiles : « La même chose est arrivée l’an dernier à Santa Cruz! » Dans le film, comme dans la vraie vie, aucune explication scientifique valable n’est fournie… d’où la quantité d’interprétations de la part des critiques. L’une d’elle, la version écolo, parle d’une conspiration de la part des oiseaux représentant la nature en colère contre l’homme qui l’exploite jusqu’à l’extermination…
Trente ans plus tard, en septembre 1991
Un événement semblable à août 1961 se produit dans la région de Santa Cruz. Encore. Cette fois, ce sont des pélicans et des cormorans qui jonchent les rues, après avoir dégobillé le contenu de leur estomac.
Décembre 2011
Une équipe de chercheurs, dont Mark Ohman de l’université de San Diego, a rédigé un article dans le magazine Nature Geoscience résumant les recherches faites pour comprendre ces comportements aviaires pour le moins erratiques. Un coupable a été identifié : en mangeant une algue de la famille des diatomées, la pseudo-nitzschia, les pélicans de 1991, à l’instar des puffins fuligineux de 1961, avaient ingéré de l’acide domoïque, une toxine qui agit sur les neurones du cerveau. En temps normal, ces neurones, les cellules du cerveau, se transmettent des messages de l’un à l’autre par les influx nerveux. Ce signal électrique, en arrivant à l’extrémité d’un neurone, va déclencher la sécrétion d’une molécule, le glutamate. Libéré de ce neurone, le glutamate va se fixer à la membrane du neurone suivant. Agissant comme une clé qui ouvre, pendant un très court instant, une porte chimique dans la membrane, le glutamate permet à des atomes chargés électriquement de passer à l’intérieur et de déclencher un nouvel influx qui se propagera jusqu’à la cellule suivante. Aussitôt fait, le glutamate est éjecté et la porte de la membrane se referme.
Par contre, quand de l’acide domoïque est présent, il remplace le glutamate et agit comme tel, sauf qu’au lieu de s’éjecter, il reste en place, empêchant la porte chimique de se refermer. Ça occasionne une propagation d’influx nerveux désordonnés, répétitifs et brusques qui peuvent, à la longue, tuer le neurone. C’est ce qui est à l’origine de messages nerveux, à l’échelle du cerveau entier, qui provoquent les spasmes et mènent à la mort des oiseaux. Le mystère est levé.
Ref : radio-canada.ca